L’objectif est certes de remédier aux mauvaises conditions de conservation de ces archives, très riches et anciennes, qui étaient jusqu’à présent réparties dans des locaux inadaptés à travers la cité, situation dégradée dont la ville a pris acte et qu’elle a décidé d’améliorer par ce biais. La volonté de préserver dans de bonnes conditions les archives peut être reconnue, et il y a lieu de saluer l’important travail de préparation qui va être engagé à l’occasion de cette opération. Cela dit, le choix du dépôt surprend pour une collectivité de la taille et de l’importance de la ville de Troyes : rappelons qu’il s’agit d’une ville préfecture de département, centre d’une Métropole de plus de 138.000 habitants, et que cette commune est labellisée Ville d’art et d’histoire.
La solution retenue est en effet, à bien des égards, tout à fait atypique. Si elle permet d’améliorer significativement, dans un contexte local bien particulier et au prix d’un investissement important mais ponctuel, la conservation et la mise en valeur d’un patrimoine remarquable, l’Association des archivistes français s’en réjouit. Néanmoins, nous relevons plusieurs points préoccupants.
Selon le Code du patrimoine [art. L.212-6 L.212-6-1], « les collectivités territoriales et les groupements de collectivités territoriales sont propriétaires de leurs archives et sont responsables de leur conservation et de leur mise en valeur. » Le dépôt, prévu également au Code du patrimoine, est surtout pratiqué par les petites collectivités qui ne peuvent gérer directement leurs archives (il est même la règle en dessous de 2000 habitants). Au-delà d’un certain seuil, la mutualisation de la fonction archives, avec des responsabilités claires et partagées et une participation financière et matérielle équitablement répartie entre les partenaires, est le modèle le plus conforme au respect des obligations de la commune envers ses archives. Cette mutualisation permet de répartir des coûts élevés tout en garantissant l’investissement et la responsabilité des collectivités dans la gestion et la préservation de leurs archives.
Les communes, comme les autres collectivités locales, ne peuvent envisager la gestion de leurs archives uniquement sous le prisme du seul coût financier. Les archives sont d’une importance première dans la gestion administrative et un atout culturel de premier ordre.
De plus, les Archives départementales n’ont pas vocation à accueillir, par voie de dépôt, l’ensemble des fonds d’archives des collectivités locales de leur ressort. Si les Archives départementales de l’Aube sont en capacité de le faire, beaucoup de services départementaux ont par ailleurs aujourd’hui des difficultés à assurer l’ensemble de leur mission de collecte, et certains connaissent des problèmes de saturation de leurs espaces de conservation.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le travail accompli par les collègues des archives municipales et communautaires mais bien de rappeler l’importance de la mission d’un archiviste. Sa présence au sein de l’organisation contribue de manière essentielle à la valorisation historique d’une ville, notamment quand celle-ci a la chance d’être richement dotée dans un patrimoine bâti. Plus profondément, un professionnel des archives est là pour soutenir, assurer et garantir les missions des services. Il a vocation à intervenir de plus en plus tôt dans la chaîne documentaire pour déterminer les règles et durées de conservation des documents d’activité afin de garantir une continuité de service en fonction des contraintes de plus en plus nombreuses qui se présentent : complexité du paysage administratif, déploiement de l’administration numérique, prise en compte des contraintes du RGPD, attentes du public en matière de mémoire et de recherches individuelles… Ces aspects des missions d’un archiviste, aussi essentielles que le versant patrimonial du métier, ne peuvent être traités par un dépôt, et ne doivent pas être négligés ni oubliés.
L’AAF est attentive à toute forme d’évolution des services d’archives des collectivités et au maintien d’un niveau élevé de professionnalisation, garant d’une bonne gestion des archives. Le dépôt sans contrepartie, ou avec des contreparties trop faibles, ne doit en aucun cas devenir la règle pour les grandes collectivités qui ont la capacité, mais aussi la vocation, à assurer ces missions, véritable atout pour les territoires et leur population.
– Voir « Les Archives de Troyes et de Troyes Champagne Métropole regroupées au sein des Archives de l’Aube »
https://francearchives.fr/fr/actualite/301140425 8 avril 2021 et https://twitter.com/FranceArchives/status/1380129798811344898?s=20
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Fondée en 1904, l’Association des archivistes français regroupe aujourd’hui plus de 2 200 adhérents, mandataires ou bénéficiaires, professionnels des archives du secteur public comme du secteur privé.
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