Le thème du congrès était « Enrichir les sociétés du savoir ». Celui-ci se déclinait en 5 sous-thèmes : paix et tolérance, technologies émergentes, savoir et planète durable, fiabilité et valeur de preuve, accès et mémoire. Après notre rapide présentation du congrès de l’ICA et de quelques interventions dans 2 numéros d’Archivistes !, nous souhaitons revenir plus longuement sur le congrès, le voyage et ce qui nous a marqué.
Destination Abou Dhabi
Abou Dhabi est le plus grand émirat des Emirats arabes Unis. Sa capitale porte le même nom, ce qui en arabe, signifie « Père de la gazelle ». Elle a été fondée en 1761 par la tribu des Al Nahyan. La pêche des huîtres perlières y était notamment pratiquée. Dans les années 1950, du pétrole fut découvert dans les eaux d’Abou Dhabi. La ville est depuis 1971 la capitale fédérale des Émirats arabes unis (fédération de 7 émirats dont Dubaï, Charjah, Oumm al Qaïwaïn, Ajman, Ras el Khaïmah, Fujaïrah) et la 3e cité du pays (après Dubaï et Charjah).
La découverte d’un congrès international
Parmi les 300 présentations et les 70 posters proposés, nous avons dû réaliser une sélection. Comme l’a si justement écrit Alice Grippon, le programme de chaque congressiste est unique.
Les déjeuners servis dans l’immense hall ont été l’occasion de découvrir les saveurs locales et de rencontrer des archivistes du monde entier.
Nous avons également découvert le gigantisme du palais des congrès, le temps de déplacement nécessaire pour aller d’une salle à l’autre ainsi que la nécessité de maîtriser l’anglais.
Des thèmes d’une grande actualité
Le congrès a été l’occasion de se pencher plus longuement sur des thèmes d’actualité, dont on sait qu’ils sont majeurs, mais que nous n’avons pas toujours le temps d’approfondir au quotidien. Nous avons été marquées par les interventions consacrées au changement climatique, à l’intelligence artificielle, aux conflits, à la colonisation et aux minorités.
Laura Millar, archiviste canadienne, consultante indépendante, écrivaine, amie de l’ICA nommée en 2022 , était l’une des conférencières invitées. Elle nous a livré une intervention pleine de douceur, de subtilités et d’images pour illustrer son propos sur la confiance : « Je ne crois pas que notre mission soit de conserver les archives d’hier pour les besoins de demain. Notre métier consiste à conserver les preuves produites aujourd’hui pour participer à la construction d’un monde meilleur au présent et à l’avenir, sans limites de temps. Dans le monde d’Elizabeth Barrett Browning, l’amour n’a pas de limites. Dans notre monde, la confiance ne devrait pas avoir de limites ».
L’intelligence artificielle au service du traitement des archives a été présentée par Jean-François Moufflet, conservateur en chef du patrimoine aux Archives Nationales de France au département du Moyen-Age et de l’Ancien Régime.
Dès 1993, les premières numérisations ont eu lieu. 10 ans plus tard, les premiers inventaires étaient mis en ligne. Quant à l’intelligence artificielle (IA), elle est utilisée depuis 2015 pour le traitement des archives. Il y a eu une accélération autour de 2020, avec la délégation de certaines tâches à l’IA. 2 technologies différentes ont été utilisées :
• HTR, handwritten text recognition, pour la reconnaissance des écritures manuscrites ;
• NEM, named entity recognition, pour la reconnaissance d’entités nommées.
JF Moufflet a présenté 3 projets différents ayant bénéficié de l’IA :
• HIMANIS (HIStorical MANuscripts Indexing for user-controlled Searchen) de 2015 à 2018 pour les registres de la Chancellerie ;
• LECTAUREP (LECTure Automatique de REPertoires) pour des archives notariales ;
• SIMARA (Saisie d’Inventaires Manuscrits Assistée par Reconnaissance Automatique) vise à développer une plate-forme de conversion des inventaires et index manuscrits. L’objectif est de convertir des fiches cartonnées en instruments de recherche en format EAD. Il faut entraîner le logiciel et ensuite il ne reste plus qu’à corriger la transcription.
Notre collègue nous a expliqué que l’IA est aussi une manière de renouveler les méthodes de recherche. Il a ainsi cité l’exemple de la sorcellerie. Les archives sont alors replacées au cœur de la recherche scientifique.
Plusieurs points prêtent à discussion : la technologie avec le nombre limité d’acteurs, les partenariats, le recrutement de spécialistes, les coûts, les infrastructures techniques.
À la question qui lui a été posée de savoir si nous avions encore besoin de paléographes, JF Moufflet a répondu que oui, ne serait-ce que pour entraîner les modèles. De plus, une transcription brute générée par l’IA ne se substitue pas à un instrument de recherche. Seul l’archiviste peut assurer la recherche et la médiation entre le lecteur et le document. Aujourd’hui, l’intelligence générative est source de rumeurs et de troubles. Ces technologies nous renvoient aux fondamentaux de nos métiers. Notre but est donc de fournir une information fiable et vérifiée, ce qui renvoie à l’utilité sociale du rôle de l’archiviste.
Tarek Ouerfelli (A’Sharqiyah University, Sultanat d’Oman) nous a livré un panorama sur la stratégie de sauvegarde et de communication des archives audiovisuelles tunisiennes. « Ce patrimoine vivant des peuples », est conservé par la télévision tunisienne, les archives nationales de Tunisie et le centre des musiques arabes et méditerranéennes.
La télévision tunisienne a noué des partenariats avec la Conférence Permanente de l’Audiovisuel Méditerranéen (COPEAM) et l’Institut National de l’Audiovisuel français (INA) pour préserver ses archives. Elle diffuse des documents grâce au projet européen MedMem Mediterranean Memory .
Les Archives nationales de Tunisie possèdent des archives audiovisuelles dans les fonds publics et privés. Du fait de la fragilité des supports, un projet de numérisation et de stockage a été lancé. Un échantillon de ces fonds est désormais consultable sur le site des Archives nationales.
Le centre des musiques arabes et méditerranéennes (CMAM) abrite, quant à lui, la phonothèque nationale tunisienne qui collecte le patrimoine musical tunisien notamment au titre du dépôt légal. Le public peut écouter de la musique tunisienne sur le site de la phonothèque ou grâce au projet Musika.
Ce patrimoine ne peut être conservé et valorisé que grâce à la collaboration de ces institutions et à la formation de professionnels spécialisés.
La présentation d’affiches
70 affiches ont été présentées lors de 2 sessions. De nombreux collègues se sont prêtés à l’exercice.
Notre collègue de l’UNICEF au Tchad, Dinza TangIrmi, a gagné le prix de la meilleure affiche rédigée par une personne ayant moins de 5 ans d’expérience dans le domaine dont le thème était « Pour l’archiviste, doit-on parler de la révolution numérique et/ou des verrous/menottes numériques ? ».
Adama Koné, responsable de la documentation et des archives de l’Assemblée nationale de Côté d’Ivoire a conçu une affiche illustrant la solidarité archivistique pour l’Afrique. Y figurent notamment le programme de l’ICA pour l’Afrique et les formations d’archivistes.
Le salon des exposants
L’ICA, des institutions des Emirats arabes unis, des services d’archives du monde arabe et d’Afrique ainsi que des entreprises proposant leurs services disposaient de stands au salon des exposants.
Sur le stand de la capitale Abou Dhabi, deux films relatant l’histoire du pays avant et après l’ère du pétrole réalisés à partir d’images d’archives étaient projetés. Des photographies étaient exposées. Les avancées en matière de numérique dans plusieurs administrations étaient présentées comme la santé dont les dossiers médicaux sont désormais intégralement numériques.
Les Archives nationales des Emirats y avaient également leur stand. En guise d’accueil une grande photographie présentait le Sheikh Zayed, père de la nation.
L’Autorité d’archéologie de Sharjah donnait sur son stand la possibilité de visualiser en 3D des objets découverts lors de fouilles sur des sites archéologiques de cet Emirat. Les Archives de ce dernier y avaient un stand.
Le Centre de documentation royal hachémite de Jordanie créé en 2005 ainsi que l’Autorité nationale des documents et archives du Sultanat d’Oman créée en 2007 étaient également présentes.
Les Archives nationales des Émirats arabes unis
Les Archives nationales étaient présentes grâce à un stand au salon des exposants du congrès. Une visite du centre de préservation et de restauration, situé en périphérie de la ville, était organisée à l’occasion du congrès. Celui-ci comporte des ateliers de numérisation de documents (livres, journaux, audiovisuels) utilisant les technologies les plus modernes et sophistiquées ainsi que des ateliers de restauration.
Un riche programme de visites
Nous avons eu la chance de bénéficier d’un programme de visites très riche. Il nous a permis de découvrir tous les soirs les trésors patrimoniaux d’Abou Dhabi.
Nous nous sommes rendus à Quasr Al Hosn qui est le plus ancien bâtiment d’Abou Dhabi. Il se compose d’un fort construit en 1795 et d’un palais des années 1940 qui fut la demeure de la famille souveraine jusque dans les années 1960. Le parcours présente l’histoire des Emirats et de la famille régnante à travers des objets et des documents. Une salle consacrée aux archives rappelle que Sheikh Zayed al Nahyan (qui fut le 1er président des Émirats) a fondé en 1968 un Centre de documentation et de recherches dans ce palais pour y préserver les archives et l’histoire. C’est ainsi que sont nées les Archives nationales des Émirats arabes unis quelques années plus tard.
Quasr al Watan ou palais de la nation date de 2019. Nous avons assisté à un grandiose son et lumières sur les façades suivi d’une visite guidée dans les dédales de ce gigantesque palais. Il accueille des chefs d’États et des sommets officiels comme celui de la Ligue arabe.
La Grande Mosquée Sheikh Zayed ben Sultan, toute de marbre blanc et d’incrustations de pierres semi-précieuses est majestueuse. Construite entre 1996 et 2007, elle comporte 80 dômes de tailles différentes, 4 hauts minarets, plus de 1000 colonnes et une immense cour. Dans la salle de prière s’étend un tapis persan de 7119 m2, il s’agit du plus grand tapis artisanal du monde.
Le Louvre Abu Dhabi est splendide autant par son implantation sur une île au bord de la mer, son architecture entre blocs de pierre blancs et dentelles d’acier, que sa muséographie qui pré-sente de somptueuses toiles et objets (prêtés notamment par les musées parisiens ou acquis) magnifiquement mis en valeur. La présentation par période chronologique fait dialoguer les cul-tures et les arts d’Europe, du Monde arabe, d’Afrique et d’Asie.
Nos impressions de voyages
En quelques jours sur place, nous avons été marquées par :
• Le gigantisme, la modernité et le luxe des constructions et des routes, l’omniprésence de la voiture, le bruit des chantiers de construction jour et nuit, la climatisation continue à 22 degrés dans tous les bâtiments, alors qu’il en faisait 35 à 40 degrés. L’importance de la modernité synonyme de développement au détriment de l’environnement et du patri-moine.
• Une forte population immigrée (de l’ordre de 75 %) et donc peu de collègues ou de per-sonnes s’exprimant en arabe.
• La présence au congrès de collègues locaux, de collègues du Monde arabe et de nom-breux collègues d’Afrique.
• Une hospitalité sans faille et un accueil exceptionnel, traditionnel dans les sociétés arabes.
• Les moyens importants mis à disposition des congressistes : une grande générosité, l’octroi de 300 bourses qui ont sans doute rendu un peu plus ouvert cet événement, un dîner de gala offert exceptionnel au Emirates palace (hôtel 7 étoiles), une cérémonie d’ouverture grandiose, avec la présence du Président François Hollande, ainsi que d’un ministre et de hauts dignitaires du pays, une communication grandiose (grand nombre de photographes et des montages splendides présentés en un temps record).
• La volonté farouche du pays d’être leader dans tous les domaines (premier pays au monde paper-less ; leader sur les nouvelles technologies, etc.) et de s’offrir le meilleur (Le Louvre, Guggengheim, La Sorbonne, New York University).
• Une ambition touristique très marquée, avec un quartier des musées déjà dense, avec le Louvre Abu Dhabi et qui se poursuit avec notamment le spectaculaire musée Gug-gengheim, que nous avons eu la chance de voir en construction.
Nous avons eu des confirmations à la suite à ce congrès :
• Les archives sont bien connectées aux problématiques contemporaines.
• Les archivistes sont liés de manière étroite aux autres acteurs du patrimoine.
• Le réseau est important, y compris à l’international.
• La force du monde associatif.
• Il est nécessaire de réussir à prendre du recul sur ses pratiques quotidiennes.
• Nous avons envie de perfectionner notre anglais !
• Nous avons envie de poursuivre et renouveler cette expérience.
Clarisse Herlemont, Responsable du département documentation, archives, courrier, Agence Régionale de Santé Nouvelle-Aquitaine et Lina Sbeih, Cheffe de projet Archives, ENS – PSL.