L’audiovisuel est partout mais comment penser ce champ disciplinaire en termes archivistiques ? Ce numéro montre et démontre comment les archives audiovisuelles réinventent les pratiques et les métiers à travers les réflexions des professionnels et des chercheurs. Les dimensions des archives audiovisuelles sont multiples : documents pour l’histoire, éléments du patrimoine, objets techniques et industriels, supports à pérenniser pour les générations futures, œuvres artistiques, archives du cinéma, traces sur le temps présent.
Les trois parties de ce numéro articulent étroitement ces dimensions : les institutions face aux archives audiovisuelles, l’actualité de la pérennisation, les enjeux de l’archivage à travers des études de cas. De ces échanges interdisciplinaires entre archivistes, chercheurs, artistes, restaurateurs et militants émergent des réflexions renouvelées et novatrices sur des pratiques archivistiques en pleine mutation numérique.
Ce numéro a été coordonné par Audrey Bodéré-Clergeau, Aurélien Durr, Pascal Legrand-Guillet et Martine Sin Blima-Barru.
SOMMAIRE
Les institutions patrimoniales face aux archives audiovisuelles
– Les archives audiovisuelles. (Ré)Concilier production industrielle, nouvelles technologies et archivistes, par Martine SIN BLIMA-BARRU
– Les archives audiovisuelles, un territoire pour la recherche, par Julie GUILLAUMOT et Stéphanie-Emmanuelle LOUIS
– La place des archives sonores et audiovisuelles en Archives départementales, par Pierre CAROUGE
Actualités de la pérennisation des archives audiovisuelles
– Le rôle de la restauration dans la pérennité des images et du son, par Brice AMOUROUX, Béatrice DE PASTRE, Marie FRAPPAT, Martine SIN BLIMA-BARRU et Béatrice VALBIN
– Dialogue de part et d’autre d’une œuvre audiovisuelle : le regard d’une conservatrice du patrimoine et d’une photographe-vidéaste, par Cécile DAZORD et Daphné LE SERGENT
– La recherche innovante à la Bibliothèque nationale de France : le projet AUD-NETTO, par Stéphane BOUVET et Romain PEREZ
Analyse et enjeux des politiques d’archivage audiovisuelles : études de cas
– Les cinémathèques ministérielles, fonds d’archives protéiformes, par Sandrine GILL
– Archiver des images animées en entreprise : le cas du groupe Saint-Gobain, par Anne ALONZO
– Accueillir l’histoire médiatique de Notre-Dame-des-Landes, par Julien GAILLARD
– Les résidences d’archives itinérantes d’Ofnibus : comment dynamiser la collecte ?, par Stéphanie ANGE
RÉSUMÉ DES ARTICLES
Les institutions patrimoniales face aux archives audiovisuelles
– Les archives audiovisuelles. (Ré)Concilier production industrielle, nouvelles technologies et archivistes, par Martine SIN BLIMA-BARRU
L’audiovisuel, son ou images, s’exprime par l’intermédiaire de media et de machines correspondantes pour les lire, qu’il s’agisse des supports analogiques ou numériques. Champ de transformation technologique continue, cela n’a pas été un frein à une création très importante que les bibliothèques et les archives ont intégré à leurs dépôts légaux, collections ou fonds. L’article entend revenir sur les grandes étapes qui ont jalonnées, au sein des institutions patrimoniales, l’entrée des productions audiovisuels dans leurs établissements et les enjeux de conservation des supports, des savoirs et des compétences.
– Les archives audiovisuelles, un territoire pour la recherche, par Julie GUILLAUMOT et Stéphanie-Emmanuelle LOUIS
Julie Guillaumot et Stéphanie-Emmanuelle Louis reviennent sur l’enjeu de la conservation et la diffusion des archives audiovisuelles pour la recherche. À travers des exemples de projets de recherches menés par la BnF ou des universitaires, sont évoqués les enjeux de la patrimonialisation des archives audiovisuelles, les problématiques liées à leur réutilisation, les archives du « non-film », la question du tri ou encore leur accessibilité pour les chercheurs. Dans le prochain millénaire, les images du xxᵉ siècle seront les premières images animées de la civilisation, ce qui les rendra particulièrement précieuses. Elles deviendront les incunables, pour celles que les institutions patrimoniales arriveront à lire dans un millénaire.
– La place des archives sonores et audiovisuelles en Archives départementales, par Pierre CAROUGE
Alors que les archives sonores et audiovisuelles semblent à première vue occuper encore aujourd’hui une place marginale au sein des services d’archives départementales, elles y sont en réalité bien présentes. À l’orée de ce siècle, techniques de numérisation et normes de description, ajoutées aux atouts plus traditionnels de ces services (ancrage territorial, stabilité institutionnelle, polyvalence des pratiques), ont permis à nombre d’entre eux d’investir un terrain jusqu’alors limité à quelques services pionniers, dans un paysage alors dominé par des acteurs associatifs. Le principal enjeu désormais paraît résider dans la capacité des services d’archives départementales à dépasser les difficultés inhérentes à la description en masse des documents audiovisuels qu’ils conservent et à la maîtrise des droits qui pèsent sur eux. C’est à ces conditions que pourront être diffusés aussi largement qu’ils le méritent ces documents qui constituent des vecteurs de valorisation sans équivalent.
Actualités de la pérennisation des archives audiovisuelles
– Le rôle de la restauration dans la pérennité des images et du son, par Brice AMOUROUX, Béatrice DE PASTRE, Marie FRAPPAT, Martine SIN BLIMA-BARRU et Béatrice VALBIN
Cet entretien rassemble deux institutions patrimoniales conservant des fonds audiovisuels anciens, une experte de l’audiovisuel chez un des grands prestataires de la restauration et une chercheuse reconnue. Tous les quatre interrogent les grands principes de la restauration de ce domaine, ses contraintes, les enjeux actuels. Leurs propos dessinent des points de rencontre ou de divergence, montrant ainsi la prégnance des contextes de conservation dans la définition des stratégies de conservation.
– Dialogue de part et d’autre d’une œuvre audiovisuelle : le regard d’une conservatrice du patrimoine et d’une photographe-vidéaste, par Cécile DAZORD et Daphné LE SERGENT
Cécile Dazord et Daphné Le Sergent ont choisi d’interroger les productions audiovisuelles en tant qu’œuvres artistiques en puisant dans les réflexions qui les traversent de par leur pratique professionnelle. La création d’œuvres audiovisuelles analogiques ou numériques et leur conservation-restauration permettent d’enrichir et d’approfondir les enjeux artistiques et leur devenir sur le temps long.
– La recherche innovante à la Bibliothèque nationale de France : le projet AUD-NETTO, par Stéphane BOUVET et Romain PEREZ
L’article porte sur l’étude d’une altération constatée sur un type d’archive en particulier : les bandes magnétiques. Des cristaux blancs se forment sur les bandes et affectent directement la numérisation de leurs contenus.
La Bibliothèque nationale de France est particulièrement affectée car elle dispose d’une collection de bandes magnétiques importantes. Ses campagnes de numérisation lancées pour rendre accessible le contenu de ces supports aux usagers de la bibliothèque sont affectées : les cassettes présentant des dépôts ne peuvent pas être numérisées, soit parce qu’elles ont du mal à défiler dans l’appareil de lecture, soit parce que les dépôts peuvent se répandre dans ces appareils et abîmer les mécanismes. Dans le cadre de son plan quadriennal de recherche, la BnF a lancé en novembre 2020 le projet AUD-NETTO, qui vise dans un premier temps à recenser les différentes typologies d’altération présentes sur les bandes magnétiques, allant des contaminations biologiques aux altérations chimiques, afin d’envisager des filières de traitements différentes. La phase finale du projet est de développer un traitement automatisé pour retirer ces dépôts et rendre les bandes altérées à nouveau numérisables. Cet article présente les résultats obtenus lors de la première phase du projet : la caractérisation et la compréhension des mécanismes de formation des dépôts blancs.
Analyse et enjeux des politiques d’archivage audiovisuelles : études de cas
– Les cinémathèques ministérielles, fonds d’archives protéiformes, par Sandrine GILL
Les cinémathèques ministérielles, constituées à l’initiative d’organes de l’Etat, soulèvent autant de problématiques archivistiques que cinématographiques. On s’interrogera sur les convergences et les singularités de trois cinémathèques conservées aux Archives nationales et aux Archives diplomatiques. En effet, ces ensembles hétérogènes, composés en majorité de documentaires sur les sujets les plus divers, mais aussi de fictions, de séries télévisées ou d’actualités échappent à toute tentative de catégorisation, au-delà des missions premières et des durées de vie des ministères qui les ont créés. Les conditions de production et d’exploitation de ces outils de propagande, de communication ou de divertissement impactent aussi la collecte, la gestion, la pérennisation et la communication des fonds d’archives.
– Archiver des images animées en entreprise : le cas du groupe Saint-Gobain, par Anne ALONZO
Le groupe Saint-Gobain conserve d’importants fonds d’archives audiovisuelles, qui témoignent d’une communication d’entreprise centenaire. Afin de définir une politique de conservation et de diffusion adaptée à ces fonds, le service d’archives s’est assuré de sa soutenabilité au sein de l’entreprise. Il a également réévalué ses pratiques pour l’adapter aux attentes documentaires des usagers et étendre leur consultation à de nouveaux publics.
– Accueillir l’histoire médiatique de Notre-Dame-des-Landes, par Julien GAILLARD
Depuis l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (NDDL), des mises en mémoires et une patrimonialisation ont été initiées par différents acteurs du problème public. Durant plus de 50 ans, celui-ci a mobilisé un nombre considérable de militants, d’associations, de collectifs et d’institutions. Leurs travaux et leur créativité sont aujourd’hui au coeur d’un travail d’archivage dont les Archives départementales de Loire-Atlantique (AD44) sont le destinataire. L’hétérogénéité et la diversité des documents transmis sont au centre des problématiques rencontrées par l’institution patrimoniale. Avec les documents papier et électroniques, les cartes et les photographies, les AD44 doivent également prendre en charge des documents audiovisuels. Deux vidéastes ont en effet choisi l’institution pour donner leurs créations réalisées pendant la lutte d’opposition. Les médiations qui jalonnent le travail d’archivage de ces documents audiovisuels spécifiques permettent d’appréhender les contraintes d’un format et d’un support spécifique pour les services d’archives départementaux. Si l’accueil des archives audiovisuelles de NDDL par les AD44 est un exemple isolé, il semble révéler des enjeux plus vastes qui bousculent les pratiques et les normes professionnelles de l’institution.
– Les résidences d’archives itinérantes d’Ofnibus : comment dynamiser la collecte ?, par Stéphanie ANGE
Après avoir tenté de définir l’objet collecté, à savoir le film amateur, l’article tend à présenter l’intérêt de ce matériau mémoriel. Cinémathèques régionales, archives départementales, associations patrimoniales, acteurs privés de la numérisation audiovisuelle, un grand nombre des acteurs intéressés à la collecte de films et bandes magnétiques du siècle dernier sont présentés au sein de cet article. C’est à partir des difficultés rencontrées par les structures régionales de conservation des archives amateurs en France et des inégalités territoriales en la matière qu’est née l’idée d’un outil au service des territoires, des cinémathèques et des archives, proposant une formule expérimentale de collecte, de numérisation et de valorisation en résidence de la mémoire filmique d’un lieu. L’accent est porté sur la sensibilisation des publics à l’urgence de traiter cette matière. L’objectif de l’association est d’être un passeur de mémoire et de s’effacer ensuite pour que les acteurs territoriaux de la conservation prennent le relais de la conservation pérenne de la matière ainsi révélée. Itinérante et mutualiste, l’association insiste sur la juste place à réserver à cette mémoire filmique, d’une grande valeur mémorielle certes mais à ne pas surestimer afin de réserver aux détenteurs d’images en mouvement privées la liberté d’en faire ou non une mémoire commune. Les perspectives de l’association, dont les premières résidences sont prometteuses, sont enfin d’accompagner la structuration et le rééquilibrage du territoire en matière de conservation et de valorisation de la mémoire filmique.