À l’occasion du premier congrès international d’histoire des entreprises en France, tenu à Paris en 2019, les questions des archives et des relations des entreprises avec les historiens ont été largement abordées.
Ce numéro reprend les communications ou débats remarqués : il s’ouvre – et se clôt – sur les questions qui se posent encore aujourd’hui sur l’accès aux archives et les conditions de production d’une histoire de qualité, quelque cinquante ans après le boom des années 1970-1980. En matière de sources, on examine ici des gisements moins connus conservés dans les bibliothèques ou à l’étranger. La question centrale, aujourd’hui et demain, des archives numériques est aussi posée à travers l’exemple de quelques entreprises, avec les conditions de leur production et de leur exploitation par la communauté scientifique. Dans l’actualité figurent aussi, côté secteur public, de nouvelles orientations des Archives nationales du monde du travail et, côté privé, les incidences du règlement général sur la protection des données (RGPD) sur les archives historiques des entreprises.
Ce numéro a été coordonné par Laurent Ducol, directeur du GIE Saint-Gobain Archives, et Roger Nougaret, responsable « Archives et histoire » à BNP Paribas (jusqu’au 31 mars 2021).
SOMMAIRE
– Avant-propos, par Laurent DUCOL et Roger NOUGARET
– Peut-on encore faire de l’histoire des entreprises ?, par Muriel LE ROUX, Alain P. MICHEL et Roger NOUGARET
Des sources à découvrir pour l’histoire des entreprises
– Casino : quelles sources pour quel patrimoine, par Marie-Caroline JANAND et Cyril LONGIN
– Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’histoire des entreprises (sans jamais oser le demander à la Bibliothèque nationale de France), par Sébastien BOGAERT
– La bibliothèque de l’université Paris Dauphine-PSL : des collections
d’excellence pour la recherche en histoire des entreprises, par Christine OKRET-MANVILLE
– Heureux comme un entrepreneur belge en France ? Les investissements de quelques groupes belges dans l’Hexagone à travers leurs archives, par Jean-Louis MOREAU
Quelles archives numériques pour les historiens d’entreprise ?
– Table ronde, par Anne ALONZO, Sandra HOLGADO, Alain P. MICHEL et Marc SCAGLIONE
– Complément : pour aller plus loin, quelques exemples, par Anne ALONZO, Sandra HOLGADO et Marc SCAGLIONE
Archives d’entreprise et histoire : nouvelles perspectives
– Comment faire dialoguer les archives du monde du travail ? Enjeux et
positionnement des ANMT, par Raphaël BAUMARD
– De l’histoire à la production d’archives : retour réflexif sur une expérience récente, par Claire MOYRAND
– Archives historiques en entreprises privées et RGPD : les réflexions des archivistes bancaires, par Cathy DRÉVILLON
– Faire l’histoire des entreprises aujourd’hui : sources, contrat, expertise, par Olivier de BOISBOISSEL, Anne BURNEL, Sabine EFFOSSE, Muriel LE ROUX, Roger NOUGARET et Alain P. MICHEL
RÉSUMÉS DES ARTICLES
– Avant-propos, par Laurent DUCOL et Roger NOUGARET
– Peut-on encore faire de l’histoire des entreprises ?, par Muriel LE ROUX, Alain P. MICHEL et Roger NOUGARET
Avec la seconde industrialisation et l’influence de l’idéologie libérale des années 1880, le fait économique a pris de l’ampleur, parfois au détriment du politique ; l’histoire est donc aussi économique. La part dévolue à l’industrie est passée, depuis 2000, de 19 à 12 % du PIB ; d’autres activités – la finance, l’assurance, les services, les technologies de l’information et de la communication – ont prospéré. En France, une partie des grandes entreprises a disparu, à l’instar du Royaume-Uni mais à l’encontre de l’Allemagne, du Japon ou encore des États-Unis, protégeant davantage leurs entreprises. Dans ce contexte de fusions, acquisitions, absorptions, cessions et ventes d’entreprises, d’émergence de nouveaux secteurs, les historiens et historiennes, de conserve avec les archivistes, ont une responsabilité : s’assurer que leur patrimoine sera préservé.
Des sources à découvrir pour l’histoire des entreprises
– Casino : quelles sources pour quel patrimoine, par Marie-Caroline JANAND et Cyril LONGIN
En 1892, Geoffroy Guichard acquiert une épicerie située dans l’ancien Casino lyrique de Saint-Étienne, d’où le nom de Casino, qui restera longtemps le magasin principal du groupe. En 1898, il fonde la société des Magasins Casino en ouvrant la première succursale à Veauche. En 1901, le groupe compte déjà cinquante succursales. C’est ainsi que naît, à Saint-Étienne, l’aventure Casino. Depuis cette période et jusqu’à aujourd’hui, Casino est intimement lié au territoire stéphanois, qui accueille toujours son siège mondial.
– Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’histoire des entreprises (sans jamais oser le demander à la Bibliothèque nationale de France), par Sébastien BOGAERT
La Bibliothèque nationale de France (BnF) est un passage obligé pour les recherches sur l’histoire des entreprises, notamment en France. L’affirmation a de quoi surprendre. Plus étonnant encore, la BnF est le lieu par excellence de la sérendipité, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. Lieu de conservation et de communication au public du « patrimoine de langue française » (décret du 3 janvier 1994), la BnF gère à ce titre des objets ou des documents sur de nombreux supports, parmi lesquels des imprimés bien sûr (monographies et périodiques), mais aussi, entre autres, des documents audiovisuels ou des documents numériques, entrés ou non par le dépôt légal. La notoriété de la BnF se fonde largement sur ses collections dans les champs historique et littéraire, mais de très nombreux autres domaines y sont représentés. C’est le cas de l’histoire de la pensée économique, du droit (par exemple des sources historiques comme les factums ou les actes royaux), de la presse professionnelle et de la presse d’entreprises depuis son origine, des films d’entreprises, de la cotation boursière, etc.
– La bibliothèque de l’université Paris Dauphine-PSL : des collections d’excellence pour la recherche en histoire des entreprises, par Christine OKRET-MANVILLE
Parmi les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, l’université Paris Dauphine – PSL, dédiée aux sciences de l’organisation et de la décision, présente un positionnement particulier. Constituées sous le signe de la complémentarité disciplinaire, les spécialités qui la composent forment un ensemble cohérent dédié à l’étude de l’entreprise sous divers angles : la gestion, l’économie, le droit, les sciences politiques, la sociologie, les mathématiques appliquées notamment à la finance et l’informatique appliquée à la décision. La bibliothèque soutient la recherche dans ces domaines en mettant à la disposition des chercheurs un fonds régulièrement enrichi grâce à des dotations budgétaires spécifiques. Elle renforce ainsi sa qualité de bibliothèque de référence dans le paysage documentaire français. Une présentation générale des principaux caractères de ce fonds précédera sa mise en perspective au sein d’un réseau documentaire en construction de collections de haut niveau dans ces disciplines. Puis, après avoir mis en lumière une collection encore peu exploitée sur un thème participant de la stratégie des entreprises – « les archives du marketing » –, un projet visant à mieux mettre en valeur ce type de ressources spécifiques sera proposé : un projet de cartographie des centres de recherche en économie et gestion liés à des ressources documentaires.
– Heureux comme un entrepreneur belge en France ? Les investissements de quelques groupes belges dans l’Hexagone à travers leurs archives, par Jean-Louis MOREAU
Dès le XIXe siècle, les relations financières et industrielles entre la Belgique et la France ont été denses et diversifiées. Rien d’étonnant à ce que l’on retrouve dans les archives des entreprises belges, nombre de fonds et dossiers relatifs à des entreprises françaises. Sans prétendre aucunement faire l’histoire des investissements belges dans l’Hexagone, voici quelques pistes archivistiques tirées des fonds traités depuis trente-cinq ans par l’Association pour la valorisation des archives d’entreprises (AVAE) , et qui pourraient intéresser le chercheur français.
Quelles archives numériques pour les historiens d’entreprise ?
– Table ronde, par Anne ALONZO, Sandra HOLGADO, Alain P. MICHEL et Marc SCAGLIONE
La conférence de clôture du congrès international d’histoire des entreprises a fait émerger le thème de la maîtrise de l’environnement de production documentaire dans le contexte de dématérialisation pour les chercheurs anciens comme nouveaux. Dans ce débat, nous ne souhaitons pas nous attarder sur le côté technique et les outils mais bien sûr la constitution des gisements de données, la collecte et l’accès à ces données. Nous avons souhaité nous emparer de cette question à travers trois exemples de groupes industriels français de niveau international avec une triple maturité : transition numérique, pratique archives et pratique des chercheurs. Nous avons fait dialoguer trois professionnels expérimentés qui ont bien voulu partager leurs constats. Ils brosseront leur parcours et leur contexte. Ils abordent ensuite la question de la production et du rôle de l’archiviste, qui est positionné beaucoup plus fortement en amont, au stade même de la production ; celle-ci devient à la fois massive, potentiellement exhaustive (presque à la folie) à des niveaux parfois inimaginables, beaucoup plus riche, sous des formats complexes à gérer, avec une notion de dossier très malmenée, totalement éclatée dans certains cas. Cela met l’archiviste dans la situation de devoir reconstituer des dossiers et pose des questions déontologiques. Le législateur a prévu des garde-fous (RGPD) qu’il convient de maîtriser et de bien interpréter pour ne pas se retrouver avec un appauvrissement de certains ensembles. Nous avons souhaité également nous mettre à la place du chercheur dont le parcours est rendu plus complexe tandis que l’archiviste est renforcé dans son rôle d’intermédiaire essentiel. Fréquemment déjà dans les entreprises, y compris pour les archives « papier », les instruments de recherche ne sont pas mis à la disposition directe des chercheurs, car ils peuvent contenir des informations confidentielles ou s’insèrent dans un système global d’information à l’accès restreint. Les comités d’histoire peuvent jouer un rôle aux côtés de l’archiviste en étant autant de facilitateurs pour comprendre la construction des gisements de sources.
– Complément : pour aller plus loin, quelques exemples, par Anne ALONZO, Sandra HOLGADO et Marc SCAGLIONE
Voici une proposition d’évolution de sources à comparer entre nos trois structures. Nous avons choisi de mettre en avant différents gisements et situations au regard de l’apport du numérique sur ces sources.
Archives d’entreprise et histoire : nouvelles perspectives
– Comment faire dialoguer les archives du monde du travail ? Enjeux et positionnement des ANMT, par Raphaël BAUMARD
Nées sous le signe de la crise économique et du besoin de sauvegarder les archives de secteurs en péril, les Archives nationales du monde du travail ont depuis 1993 collecté des fonds emblématiques et de premier ordre. Les moyens mis par l’État pour cette conservation sont sans égal en Europe. Et pourtant, ces fonds constituent une goutte d’eau dans l’océan documentaire des entreprises et des syndicats. Cet océan est immense et multiple : c’est à sa meilleure connaissance que les Archives nationales du monde du travail souhaitent participer. Plutôt que de créer de nouveaux outils ou de nouvelles structures, elles ont la conviction que c’est en exploitant mieux ceux qui existent déjà qu’un vrai progrès pourra se faire jour. Le projet scientifique, culturel et éducatif (PSCE) 2020-2025 a été établi dans cet état esprit. En privilégiant systématiquement la logique de partenariats et en affirmant l’inscription des Archives nationales du monde du travail dans de multiples réseaux, le changement est important : espérons que chacun se saisisse de ce nouvel état d’esprit. Rendez-vous en 2025 pour un premier bilan.
– De l’histoire à la production d’archives : retour réflexif sur une expérience récente, par Claire MOYRAND
En tant qu’historienne d’entreprise travaillant dans une agence privée (Histoire d’entreprises), je « pratique » l’histoire orale de manière régulière. Chaque fois qu’une mission de recherche ou de valorisation nous est confiée par une entreprise, notre équipe prévoit un poste (en termes de temps et de budget) pour la réalisation d’entretiens et la rédaction de leurs comptes rendus. La problématique dont cet article voudrait rendre compte est la suivante : comment ce type d’activité historienne crée de nouvelles sources, à la fois orales et écrites. Et, parallèlement, comment ces sources-là, une fois collectées, analysées, critiquées, permettent de faire émerger une histoire complémentaire à celle que l’on produit à partir des archives écrites. J’essayerai d’y répondre à travers un exemple récent : la Grande Récolte organisée pour le compte de l’entreprise Martell, maison de cognac créée en 1715.
– Archives historiques en entreprises privées et RGPD : les réflexions des archivistes bancaires, par Cathy DRÉVILLON
Avec l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD) le 25 mai 2018, les archives historiques ont pu être perçues comme un risque pour l’entreprise privée, ce qui n’est pas sans poser différents problèmes : destruction massive, oubli de la problématique historique, difficultés de diffusion. Comment les archivistes peuvent-ils agir pour mieux protéger les archives patrimoniales privées ?
– Faire l’histoire des entreprises aujourd’hui : sources, contrat, expertise, par Olivier de BOISBOISSEL, Anne BURNEL, Sabine EFFOSSE, Muriel LE ROUX, Roger NOUGARET et Alain P. MICHEL
Cet article est le compte rendu détaillé de la table ronde « Faire l’histoire des entreprises aujourd’hui : sources, contrat, expertise » qui s’est tenue lors du premier congrès international d’histoire des entreprises en France, en septembre 2019. Animée par Muriel Le Roux (historienne au CNRS IHMC-CNRS-ENS-PSL-université Panthéon Sorbonne), les intervenants étaient : Olivier de Boisboissel (président de l’association PAGE – Prestataires en archivage et gestion externalisée), Anne Burnel (directrice des archives du groupe La Poste), Sabine Effosse (professeure à l’université Paris Nanterre), Roger Nougaret (responsable « Archives et histoire » à BNP Paribas jusqu’en 2021) et Alain P. Michel (professeur, université Paris-Saclay, site d’Évry).