Présentation issue de l’ECHO N°42 (avril 2004)
1. Historique : de la sous-section contemporaine à la section du XXe siècle
1.1 Une histoire de pionniers
Il n’y a pas de charte de fondation de la section contemporaine, écrivait en 1972 Pierre Cézard, responsable de la section depuis le 1er novembre 1970. Il renvoyait alors à la lecture d’un article qu’il avait rédigé pour La Gazette des archives en juillet 1947 : « Vers la création d’une nouvelle section aux Archives nationales ». Le service dénommé « sous-section des archives contemporaines », émanation de la section moderne, est alors composé d’un conservateur-adjoint (Jacqueline Mady), de quatre archivistes (Guy Beaujouan, Pierre Cézard, Marie-Thérèse Chabord et Élisabeth Dunan), de deux commis, de deux gardiens de bureau et d’une dactylo. Installé au dernier étage de l’hôtel de Rohan dans des conditions précaires , il dispose également d’une salle de lecture propre ainsi que d’une salle de classement au rez-de-chaussée. L’avenir de la sous-section reste incertain et son autonomie peu affirmée et cependant, en deux ans à peine, ces précurseurs inventent le métier d’archiviste du temps présent.
Le sauvetage des archives de la Seconde Guerre mondiale
La naissance de la sous-section est intimement liée au contexte historique de l’immédiat après-guerre. Dès août 1944, la Libération de Paris à peine achevée, quelques archivistes se précipitent afin de recueillir les archives des autorités d’occupation et des services de l’État français sous Vichy, qui sont, soit abandonnées dans la précipitation de la défaite, soit encore conservées dans les ministères. Grâce à leur efficacité, les Archives nationales recueillent un matériau historique de premier plan et d’un volume majeur . Dès 1944, arrivent quelques fonds en provenant du « Majestic », siège du Haut commandement militaire allemand. En 1945, rentrent les archives de la direction des services de l’Armistice, les papiers d’Abel Bonnard, les archives du Commissariat général aux questions juives. En 1946, reviennent d’Allemagne de nombreux fonds dont une partie importante des archives du Haut commandement militaire allemand en France et Belgique ...
Le classement et la communication en temps réel
En pleine période d’après-guerre, Jacqueline Mady et ses collaborateurs deviennent acteurs de leur temps. Ils sont sollicités, entre autres, par la Haute Cour de justice pour participer au repérage des archives nécessaires à l’instruction des procès des dignitaires de Vichy. Ils sont amenés de ce fait à concevoir des outils de mise à disposition immédiate des archives : De plus - et contrairement à ce qui se faisait normalement pour les archives modernes-, il était indispensable de les mettre en œuvre immédiatement, c’est-à-dire de les rendre accessibles matériellement [...] et de les inventorier sommairement : en effet, outre la Justice, un certain nombre d’administrateurs étaient intéressés par leur contenu [...], des particuliers même pouvaient, dans certaines affaires contentieuses avoir besoin de copies de pièces. De cette époque datent les nombreux inventaires dactylographiés, dont dispose la section, parfois simples récolements détaillés mais infiniment précieux. Partenaires privilégiés de la Commission d’histoire de l’Occupation et de la Libération de la France, futur Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, ils sont enfin confrontés à la naissance de l’écriture de l’histoire immédiate.
La prospection des archives : l’idée des missions
L’expérience de cette collecte dans l’urgence, la conscience de l’apparition de nouvelles missions pour les archivistes orientent très rapidement les activités de la sous-section vers une direction résolument novatrice : mener une prospection systématique des documents contemporains en application du décret de 1936 ; trier et établir des états sommaires de tous les documents entrés ; intervenir au sein des ministères afin de leur fournir une aide technique sur les documents courants.
La section s’investit alors considérablement dans le « sauvetage des archives contemporaines ».
Le volume d’archives collectés s’élève annuellement (de 1947 à 1957) entre 1.200 à 1.500 mètres linéaires par an. En 1950, lors d’une conférence donnée à l’École des chartes , Pierre Cézard dresse cependant un constat amer : La plupart des services nous ignorent voire même nous prennent pour un organisme privé ! Le crédit des Archives est faible. L’idée de missions dans les ministères est dans l’air du temps. L’idéal serait, semble-t’il, malgré le danger possible « d’autonomisme » d’avoir sur place dans chaque administration un archiviste. La première mission sera créée en 1952. Suivront la création de la cité interministérielle des archives en 1962 et l’affectation du terrain de Fontainebleau en 1967.
Vingt-trois ans plus tard (1973), la section devenue « section contemporaine » [la section n’acquiert son autonomie administrative qu’en 1958, avec la nomination de Jacqueline Mady comme conservateur en chef] a un effectif de 9 conservateurs dont 6,5 sont installés au sein de ministères. Des liaisons ou missions sont installées au sein du Secrétariat général du Gouvernement, du secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports, des ministères des Affaires culturelles, de l’Aménagement, du Développement industriel, de l’Éducation nationale, de l’Intérieur, des Transports.
Pierre Cézard, qui a succédé à Mlle Mady en 1970, quitte la section en 1983. La sous-section des archives contemporaines, à la création de laquelle ils avaient tous deux participée, aura elle-même donné naissance à une nouvelle section : la section des missions (1982).
1.2 La section contemporaine au cœur des débats sur la Seconde Guerre mondiale
Chantal de Tourtier-Bonazzi, responsable de la section des archives privées, prend la tête de la section. Elle doit assurer le recentrage des activités du service, désormais privé du secteur de la collecte des archives contemporaines à l’exception des archives présidentielles. Les compétences de la section s’étendent désormais de 1940 à 1958. Chantal de Tourtier-Bonazzi s’investit avec succès, entre autres, dans deux grands chantiers : la collecte des archives orales et celle des archives politiques.
Cependant, la section est au cœur de la tourmente engendrée par le retour mémoriel sur la Seconde Guerre mondiale. C’est l’époque des grands procès : Barbie (1987), Touvier (1994), Papon (1998). Ayant très activement participé à l’élaboration de la loi sur les archives audiovisuelles de la Justice (11 juillet 1985), Mme Bonazzi suit de très près l’enregistrement du procès Barbie. Le service sera le dépositaire naturel des bandes enregistrées des trois grands procès. Mais c’est aussi le moment de la polémique sur la « fermeture » des archives lancée par l’ouvrage de Sonia Combe (1994). Les fonds de la section contemporaine, devenue section du XXe siècle en 1996, avec un champ chronologique remontant à 1914, seront les premiers, en 1998, à bénéficier d’ouvertures par la procédure de dérogation générale.
C’est enfin, à partir de 1991, le grand débat engendré par la découverte par Serge Klarsfeld au ministère des Anciens combattants de fichiers de recensement de Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. C’est le temps des commissions : la commission Rémond, tout d’abord, constituée pour établir l’origine de ces fichiers ; la commission Mattéoli, ensuite, chargée d’établir l’ampleur des spoliations et restitutions de biens ; enfin la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS). La section du XXe siècle, dirigée de 1995 à 2000 par Paule René-Bazin, participe à toutes ces commissions, en mettant par exemple un conservateur à disposition de la mission Mattéoli (Caroline Piketty) ou en hébergeant aujourd’hui les chargés de mission de la CIVS.
C’est aussi l’époque de la création des grandes fondations liées à la Seconde Guerre mondiale : Fondation pour la mémoire de la Déportation (1990), Fondation de la Résistance (1993), Fondation pour la mémoire de la Shoah (2000).
2. La section du XXe siècle aujourd’hui
Compétences et effectifs
La section du XXe siècle a ainsi aujourd’hui la responsabilité des fonds d’archives provenant des administrations centrales de l’État pour la période 1914-1958. Elle a conservé la collecte et la responsabilité des fonds présidentiels en liaison avec la mission des Archives nationales de l’Élysée. Le métrage linéaire dont elle a la charge peut être évalué à 17.000. Toujours installée au dernier étage de l’hôtel de Rohan, elle bénéficie de locaux de travail entièrement rénovés en 2003. 18 personnes composent désormais son effectif : 8 conservateurs, 3 chargés d’études documentaires, 2 secrétaires de documentation, 2 adjoints administratifs, 3 agents et adjoints techniques. La section est aujourd’hui confrontée à des enjeux majeurs tant en terme de conservation que de mise à disposition des fonds.
Une collecte désormais limitée mais précieuse
La collecte menée par la section reste active dans le cadre d’un champ de compétence chronologiquement fermé. Par ailleurs la saturation des dépôts du CHAN la rend de plus en plus complexe. La prospection est donc limitée aux fonds privés concernant la Seconde Guerre mondiale et aux fonds d’hommes politiques complémentaires des fonds présidentiels. Ont ainsi été collectés ces dernières années le fonds de l’Union française, les archives de Résistance-Fer, le fonds de l’Amicale du camp de Mauthausen, les archives de Jean-René Bernard, les archives de Philippe Lettéron, conseiller officieux de Jacques Foccart...
Des fonds prestigieux ... à sauvegarder pour les transmettre
La section du XXe siècle prend la continuité de la section du XIXe siècle. Il serait vain de donner un état de l’importance et de la valeur des fonds. Un simple regard sur l’État général des fonds suffit à s’en convaincre. Leur état de conservation n’en est que plus préoccupant, tant du fait de la fragilité des supports, des mauvaises conditions de conservation propres au CHAN que parfois d’une manipulation intense. Certains fonds ont ainsi été fermés à la consultation pour fragilité alors qu’ils venaient à peine d’être rendu communicables : c’est le cas des archives de l’État français sous Vichy (2 AG) ; d’autres sont laissés accessibles tandis que leur état s’aggrave de jour en jour : par exemple une grande majorité des fonds du ministère de l’Intérieur (F7) ou le fonds du ministère des Anciens combattants (F9). Lutter contre cette dégradation est à l’heure actuelle une priorité. Des chantiers de sauvegarde ont été lancés : reconditionnement préalable avant communication (ainsi pour le fonds de la cour de justice de la Seine : Z6), microfilmage intégral de la Haute cour de la Seine (3 W), lancement du microfilmage du fonds 2 AG et surtout microfilmage exhaustif du fonds du Commissariat général aux questions juives . Sont également concernées les archives audiovisuelles et photographiques de la section (200.000 clichés par exemple pour les septennats de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand). En 2004, des opérations de numérisation seront lancées sur les témoignages oraux de déportation déposés par la Fondation pour la mémoire de la Déportation, et sur les photographies de la Présidence de la République pour l’année 1981.
Des classements de fonds, une politique de publication active
Bon nombre de séries sont munies de récolements détaillés dactylographiés. Certains doivent être repris et remis aux normes avant publication et diffusion. D’autres fonds en revanche ne bénéficient d’aucun instrument de recherche. L’effort de classement s’organise autour de chantiers prioritaires menés si possible par des équipes constituées. Figurent actuellement au programme de classement le fonds des dommages de guerre de la Première guerre mondiale, le fonds du BCRA et les archives présidentielles du général de Gaulle, de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand (20.000 cartons au total, dont 14.000 pour les deux septennats de François Mitterrand). L’effort de publication demeure intense : publication du guide des sources de la Seconde Guerre mondiale (1994) et de plusieurs inventaires : Présidence sous Georges Pompidou (1996), Commissariat général aux questions juives (1998), Présidence de la IVe République (2001), archives de l’Occupation allemande en France et archives de la France libre et du GPRF (2003).
Des fonds de plus en plus communiqués. Les dérogations : une charge de travail prioritaire
La quasi totalité des fonds antérieurs à 1945 est désormais librement communicable. Une part importante des fonds postérieurs à cette date demeure soumis à la procédure de dérogation. Le recours à cette procédure est massif puisque la section instruit annuellement entre 500 à 600 demandes de dérogations concernant environ 4.000 à 6.000 articles. Particulièrement lourde, la charge de travail entraînée par cette procédure est considérée comme prioritaire.
De fait, le volume de communication des fonds de la section du XXe siècle est en augmentation régulière et constante, passant de 12,5 % de l’ensemble des communications du CHAN en 2001 à 14 % l’année suivante et à presque 18 % en 2003. Les chercheurs fréquentant les fonds de la section sont principalement issus du monde universitaire. Cependant le public « amateur » occupe chaque année une place de plus en plus importante. Nombreux sont ceux, contemporains des faits ou leurs descendants, qui viennent à la recherche d’une déportation, d’une spoliation, d’itinéraires de résistance ou de collaboration...
Un service soucieux de la valorisation, une expertise scientifique
De par son historique et la composition de ses fonds, la section du XXe siècle a développé une multiplicité de partenariats avec des organismes de recherche et des fondations. Elle participe ainsi au conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle, de l’association Georges Pompidou, de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, du musée de la Résistance nationale de Champigny, du Centre de documentation juive contemporaine ; elle est en outre membre de commissions au sein de la Fondation pour la mémoire de la Shoah ou de la Fondation de la Résistance. Elle apporte à ces organismes sa compétence scientifique et technique, par exemple dans le domaine des archives orales. Elle participe à des actions concrètes, dont la plus notable est aujourd’hui l’opération menée au niveau national sur le thème « Sauvez les archives de la Résistance et de la Déportation ».
Participation à des colloques, organisation de conférences et d’expositions, édition de documents , doivent contribuer à la valorisation et au rayonnement scientifique du CHAN. Les récents succès des expositions De Gaulle, écrire et diriger et War story constituent autant d’encouragement à poursuivre dans cette direction.
La section du XXe siècle a désormais atteint l’âge adulte. Il faut aujourd’hui conforter les acquis, concilier les contraires (communiquer tout en conservant ; classer tout en valorisant...), s’adapter aux nouveaux publics et à l’évolution de l’archivistique... Mais la section du XXe siècle n’est qu’un des éléments constitutifs du CHAN. Son avenir s’inscrira dans la refondation des Archives nationales, dans un autre cadre, celui d’un nouveau centre pour les Archives nationales.
Isabelle Neuschwander, 2004