Présentation issue de l’ECHO n° 32 (décembre 2001)
Lié par convention à la direction des Archives de France (et à la direction de l’Architecture et de l’urbanisme), le centre d’archives de l’Ifa joue un rôle pivot dans l’organisation de la collecte et du traitement des archives d’architectes en France depuis une quinzaine d’années. Il n’est cependant aujourd’hui ni la tête de réseau qu’il a prétendu être au début des années 1990, ni « le » centre de collecte des Archives nationales comme le suggère la convention signée en 1986, ni un observatoire des archives de l’architecture et de la ville. Des ressources irrégulières, d’insurmontables problèmes de place, ont favorisé une redistribution des compétences à l’issue desquelles l’Ifa se trouve aujourd’hui relayé - notamment par le CAMT - dans une politique de collecte d’archives aux contours plus flous qu’autrefois.
1. L’un des premiers centres d’archives spécialisés
L’Ifa est une association loi de 1901 fondée en 1980 pour favoriser la diffusion de la culture architecturale ; dès le début, malgré son indépendance intellectuelle et programmatique, c’est une sorte de bras séculier de la direction ministérielle chargée de l’architecture (direction du ministère de l’Équipement jusqu’en 1995, puis de la Culture). L’une des formes de la culture architecturale à développer auprès des Français est l’histoire de l’architecture, notamment celle du XXe siècle, indispensable pour comprendre les enjeux de l’architecture contemporaine. Afin de l’écrire et de la montrer, l’Ifa décide dès sa fondation de rassembler des archives originales, qui nourriront recherche et expositions.
Le seul créneau éventuellement disponible pour une association qui prétend collecter des archives est évidemment celui des papiers privées. Les archives des agences d’architectes étaient bien mal prises en compte en 1980 : une quinzaine de fonds seulement recueillis par les Archives nationales, une autre quinzaine au Conservatoire national des Arts et métiers (CNAM), pratiquement rien aux Archives de Paris, et peu de chose dans les départements. Seul l’ensemble du CNAM correspondait à une collecte volontariste effectuée selon des critères précis (en l’occurrence, l’histoire de la construction en béton armé). Les archives de Le Corbusier, enfin, étaient gérées par la fondation chargée de veiller sur sa mémoire.
La DAF semble avoir vu avec une certaine méfiance une association s’infiltrer dans le pré carré de la conservation des archives. Cependant, les inspecteurs généraux Jean-Pierre Babelon et Arnaud Ramière de Fortanier, convaincus de l’urgence du chantier et conscients qu’il dépassait les forces des services publics existants, ont favorisé le développement, au sein de l’Ifa, d’un véritable centre d’archives, encadré et aidé par la DAF. Deux modifications importantes marquent ainsi la fin des années quatre-vingt après une période de bricolage inventif dans le bureau de Maurice Culot, architecte qui a conçu et animé le centre d’archives de l’Ifa pendant vingt ans.
La première est la signature, en 1986, de la première convention tripartie (Ifa, DAF, direction de l’Architecture et de l’urbanisme) définissant les compétences du centre d’archives de l’Ifa et ses relations avec ses tutelles. En cinq courts articles, l’Ifa est défini comme un « centre intermédiaire » (les guillemets, qui sont dans le texte, montrent la nouveauté du projet) recevant « en dépôt des fonds d’archives d’architecture destinés à être reversés, après traitement, aux Archives nationales ou aux archives des collectivités territoriales, selon la nature et l’importance du fonds et le souhait des propriétaires ». Sous le contrôle scientifique et technique de la DAF, l’Ifa est donc habilité à traiter ces fonds, mais non, en principe, à en assurer la conservation définitive. Cette convention a été modifiée en 1995 - la principale nouveauté était la mise à disposition d’un poste de conservateur -, et une nouvelle version à l’étude depuis 1998 entretient le dialogue entre l’Ifa et les directeurs successifs de la DAF.
L’autre modification, évidemment fondamentale, a été en 1989 l’installation d’un véritable centre d’archives, aménagé par les architectes Reichen et Robert dans un ancien hôpital du 13e arrondissement de Paris. Pouvait alors se mettre en place une politique de communication au public, ainsi qu’une collecte, voire une prospection active des sources, que permettaient les trois niveaux de sous-sols (2000 m² au total, auj. 3 à 4 kml). La présence de meubles à plans (et des bureaux du personnel) dans la « salle de lecture » symbolisait une approche renouvelée, dérogatoire, des relations entre lecteurs et archives, due à la ténacité des inspecteurs généraux, et qui est restée un trait caractéristique de l’Ifa.
Malheureusement, toutes les parties ont ensuite montré aussi peu d’empressement à faire transiter les fonds en dépôt vers des centres de conservation définitive, si bien que cinq ou six ans ont suffi pour remplir le centre d’archives de l’Ifa et mettre à mal sa politique de collecte.
2. Des fonds nombreux, obscurs ou prestigieux
Il ne peut être question de définir en quelques lignes les 350 fonds répertoriés (dont une centaine provenant de l’Académie d’architecture), encore moins de les citer tous.
Le dépôt, en 1992, des fonds collectés par le CNAM a doté l’Ifa d’une série d’archives liées à l’histoire spécifiquement française du béton armé, parmi lesquelles les fonds Perret (archives de l’architecte Auguste Perret et de l’entreprise familiale de gros oeuvre), André Lurçat, François Le Coeur, et celui du premier et plus important bureau d’études français de béton armé, la société Hennebique. Cet axe fort a fait évoluer sensiblement une collection jusque-là représentative du « premier » XXe siècle et de l’invention de l’architecture de loisirs (fonds Niermans, auteur de brasseries Art nouveau et de casinos, Pierre Patout, figure de proue de l’architecture « paquebot », Louis Bonnier, Süe et Ventre, etc.). L’Ifa avait aussi suscité les dons de quelques autres fonds importants de personnalités hors du commun (Henri Sauvage, Georges-Henri Pingusson, Roger Le Flanchec) ou de modernes ayant glissé très tôt vers une architecture classique (Jean-Charles Moreux, Pierre Barbe, Henry Jacques Le Même). Un autre axe significatif était la pratique de l’architecture hors de France, notamment en Afrique ou en Indochine (Albert Laprade, Michel Écochard, Jean Bossu, Jean Le Couteur, Louis-Georges Pineau, Jean-Claude Forestier...).
Dépassant enfin franchement la période de la reconstruction, les dernières années ont vu arriver plusieurs « gros » fonds d’agences importantes de l’après-guerre, tels Guillaume Gillet (reçu en dation par la DAF en 1990, cas unique en France pour les archives d’architectes), Jean Dubuisson, Jean Ginsberg, Émile Aillaud, Pierre Dufau, l’Atelier de Montrouge.
À côté de ces fonds de personnalités de l’architecture, qui suscitent des recherches universitaires et au moins des monographies sur la carrière de leurs titulaires, nombre d’autres proviennent d’architectes moins connus et parfois franchement inconnus, qu’on peut néanmoins estimer utiles pour témoigner de l’architecture « ordinaire » ou « courante ».
3. Des méthodes et des relations
Vite saturé, le centre d’archives de l’Ifa s’est trouvé incité à développer un réseau d’institutions comparables, une connaissance élargie des ressources dans son domaine, et enfin des méthodes de classement ou de conditionnement qui faisaient largement défaut.
Dans une dizaine de régions françaises (ou d’espaces homogènes, comme la côte basque), des associations d’archives d’architecture ont vu le jour dans les années 1980 sur un modèle inspiré de l’Ifa, en général sous l’influence de conservateurs de l’Inventaire général ou des monuments historiques, de chercheurs en histoire de l’architecture (dans les écoles d’architecture ou à l’université), enfin d’archivistes qui assumaient la conservation des documents. L’Ifa a créé entre ces associations et ces chercheurs un bulletin de liaison, Colonnes, théoriquement semestriel, dont l’association Archives modernes d’architecture de Bretagne a repris le modèle pour son propre bulletin. Dépourvu de comité de rédaction, Colonnes souffre aujourd’hui de trop « coller » à l’Ifa et reflète trop peu l’activité en matière d’archives d’architecture dans toute la France.
Grâce à cette décentralisation - qui en fut sans doute vraiment une politique il y a dix ans -, les archives Prouvé sont aujourd’hui conservées en Lorraine, nombre de fonds d’architectes bretons dans les services d’archives départementaux de Bretagne, les fonds des reconstructeurs du Havre aux Archives de la ville.
L’Ifa a cherché parallèlement à définir son champ de compétence : au-delà des fonds des architectes, profession libérale, que sont les archives de l’architecture ? Celles d’autres professionnels comme les entrepreneurs, les bureaux d’études, les décorateurs, les paysagistes, et toutes celles liées à l’urbanisme et à la ville - émanant plus souvent de services publics ou de sociétés d’économie mixte -, doivent être mises en perspective avec les fonds des architectes. L’Ifa a rédigé en 1995 un État des fonds des archives d’architectes publié par la DAF et la Documentation française (1996), qu’il conviendrait de faire suivre un jour d’un plus complexe état des fonds des archives sur l’architecture (et l’urbanisme). L’existence à l’Ifa d’une bibliothèque spécialisée a souvent permis de traiter ou de signaler en parallèle archives et sources imprimées.
Dans le développement de méthodes adaptées à ces gros fonds, aux supports et aux moyens d’expression très variés, l’équipe permanente restreinte du centre d’archives ne pouvait mettre en oeuvre des techniques trop sophistiquées. Tout le traitement matériel, en particulier, s’efforce de faciliter la consultation, mais ignore largement les principes de la conservation préventive. Pour le traitement intellectuel cependant, la documentaliste du centre, Sonia Gaubert, a conçu sous Access une base de données s’inspirant de celle utilisée initialement (qu’avait développée le centre d’archives de l’école polytechnique fédérale de Lausanne) et qui permet l’inventaire et l’indexation des archives, l’édition des inventaires, les recherches multicritères, l’inclusion d’images numérisées, la gestion des prêts aux expositions, le récolement. Les modules d’indexation exigeraient un travail de fond (définition de thésaurus, de listes d’autorité) qu’il est impossible de mener aujourd’hui.
Le caractère le plus remarquable de l’activité du centre d’archives réside peut-être dans l’implication constante des chercheurs - enseignants et étudiants - dans la prospection, le traitement et la mise en valeur des documents, le tout souvent dans le désordre puisqu’il n’est pas rare qu’une exposition ou une publication précède le classement d’un fonds. Une dynamique qui n’est sans doute pas idéale pour la conservation, mais qui garantit la circulation de l’information.
4. Une politique de collecte pour les archives de l’architecture et de la ville ?
Chargé en 1997 d’une mission d’étude des archives de l’architecte et de la ville, Christian Oppetit, conservateur général de la DAF, a diagnostiqué les effets pervers du statut original et de la saturation de l’Ifa et observé comment des solutions spontanées se développaient. Conséquence de son intervention dès 1998, une notable augmentation de la subvention d’action de la DAF a partiellement amélioré la situation. Christian Oppetit a demandé que la question de la politique documentaire soit posée de façon extensive à l’échelle nationale, plaidant pour une prise en compte globale des archives de l’architecture dans la dimension urbaine sans laquelle elles ne s’entendent plus après la seconde guerre mondiale.
Parmi les solutions pragmatiques qui se sont présentées, la principale a été vers 1996 l’ouverture du Centre des archives du monde du travail (AN Roubaix) aux archives des architectes et de la construction (entreprises, bureaux d’études) : c’était la fin de l’image d’unique « centre associé des AN pour la collecte des archives d’architectes » que l’Ifa s’était peu à peu forgée. À côté de fonds importants (Simounet, Couëlle) recueillis par le CAMT « faute de place à Paris », le Centre a développé sa propre politique de collecte, autour d’axes spécifiques et dans son aire géographique.
Parallèlement, l’Ifa recueillait en 2000 l’important dépôt des archives de l’Académie d’architecture, une centaine de « fonds » collectés par cette institution professionnelle auprès de ses membres, qui renforce la concentration de « belles pièces » et d’archives exploitables par la recherche, et met fin au statut unique des fonds, jusque-là tous donnés à la DAF et déposés à l’Ifa.
Depuis 1998 et l’arrivée à sa tête de l’historien de l’architecture Jean-Louis Cohen, l’Ifa renforce par ailleurs plus la mise en valeur et l’exploitation pédagogique des archives en s’engageant dans le grand projet de Cité de l’architecture et du patrimoine, un centre consacré à l’architecture qui ouvrira dans le palais de Chaillot en 2003 et comprendra un musée d’architecture, de vastes salles d’exposition et des institutions de recherche et de médiation. Le centre d’archives ne rejoindra pas le palais de Chaillot mais se trouve ainsi pris dans un mouvement qui apporte à son tour une nouvelle dynamique.
La question posée aujourd’hui est celle du développement des fonds dans une configuration assez ouverte, mais où l’initiative de la DAF est primordiale, que ce soit pour les archives collectées par Roubaix ou par l’Ifa. Avec d’autres institutions analogues à l’étranger, l’Ifa a gagné un pari délicat, en popularisant auprès des architectes l’idée du don de leurs archives à la fin de leur carrière, limitant ainsi l’émergence d’un marché du dessin d’architecte. Reste à faire face à l’offre ainsi provoquée, et à savoir répondre aux dix ou vingt propositions de fonds d’archives qui sont faites chaque année. Le centre d’archives de l’Ifa est aujourd’hui capable d’en recevoir un ou deux par an, et d’en classer trois ou quatre, ce qui pose clairement le problème de la politique d’acquisition (ou de la stratégie documentaire) dans un domaine limité mais où la production d’archives est énorme. Jusqu’ici les évolutions technologiques (numérisation d’archives sur papier ou réception d’archives numériques) n’ont pas paru susceptibles d’apporter des solutions.
Il y a cependant là un vaste chantier qui reste à explorer. C’est aussi le cas pour l’idée qui consiste à apporter aux architectes une aide pour la gestion de leurs archives dès leur production, de même que les services publics d’archives ont développé le contrôle des archives vivantes dans les services versants afin d’améliorer la qualité des archives reçues et d’être en mesure de proposer des éliminations intelligentes.
David Peyceré, 2001
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