Présentation issue de l’ECHO n° 35 (juillet 2002)
1. Les archives de la Marine sous l’Ancien Régime
Si l’origine des collections du Service historique de l’armée de Terre remonte à la création du département de la Guerre sous Henri II, c’est au XVIIe siècle qu’on doit faire remonter celles du Service historique de la Marine, avec l’organisation d’un département propre à la marine (1626). Grâce à la volonté politique de Richelieu, le royaume de France commence à entretenir une flotte de guerre permanente, ce qui entraîne l’élaboration d’actes et la production d’archives.
Cette ambition fut poursuivie sous le règne de Louis XIV avec une singulière persévérance par Colbert, premier secrétaire d’État de la Marine.
L’organisation des services de l’administration centrale de la Marine est alors relativement rudimentaire : deux bureaux à compétence géographique (bureau du Ponant et bureau du Levant) côtoient deux bureaux spécialisés (bureau des fonds et direction du commerce). La volonté affichée de Colbert de centraliser les archives de la Marine est poursuivie jusqu’à la fin du XVIIe siècle et en 1699, Pontchartrain organise le premier dépôt place des Victoires, qu’il confie au généalogiste Pierre Clairambault.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, la distinction entre les bureaux à compétence géographique s’estompe au profit d’une organisation plus méthodique. Apparaissent alors une série de services dont l’un, le dépôt des cartes et plans créé en 1720, est à l’origine de nombreuses collections conservées aujourd’hui par le Service historique de la Marine.
Les archives reflètent parfaitement cette volonté d’organiser un grand corps de l’État. Elles s’accumulent près de la Cour (le dépôt des archives quitte Paris pour Versailles en 1763) mais aussi dans les ports importants où elles demeureront. Cette disposition géographique des collections a certes en partie évolué mais constitue encore l’originalité du Service historique de la Marine qui dispose aujourd’hui de six dépôts (Brest, Cherbourg, Lorient, Rochefort, Toulon et Vincennes).
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les archives de la Marine connaissent des fortunes diverses suivant l’intérêt plus ou moins grand que leur portent les autorités maritimes et la plus ou moins grande compétence des responsables à qui elles sont confiées. Leur histoire s’apparente à celle d’un « long martyre », suivant le mot de Charles Braibant, ponctué par le manque de moyens, de locaux et de personnel, la difficulté à obtenir les versements des bureaux, les classements incohérents, le rattachement de certains bureaux à d’autres ministères (ainsi le bureau des consulats qui dépendaient de la Marine depuis Colbert passe sous la Convention aux Affaires étrangères avec une partie de ses archives)...
2. Une volonté organisatrice au XIXe siècle
Transféré de Versailles à la rue Royale en 1837, les fonds commencent dès lors à susciter l’intérêt des marins. Une doctrine archivistique s’élabore et, en 1844, un règlement très détaillé définissant précisément les attributions du service et prônant le respect des fonds est promulgué. La même année, les Annales maritimes et coloniales publient un rapport mettant en lumière l’état d’abandon dans lequel croupissent les archives des ports. En 1848, le bureau des archives se voit, en outre, confier la gestion de toutes les bibliothèques de la Marine à Paris et dans les ports. Un an après, une commission des archives chargée de proposer au ministre des modes de tri et de classement est instituée.
Sous le Second Empire, les autorités maritimes accordent de plus en plus d’intérêt à leurs archives qui, de ce fait, connaissent une importante activité : un règlement du 25 mai 1862 décrit tous les aspects du fonctionnement du service et place les archives portuaires sous l’autorité du chef de service des archives centrales. Les bases du futur Service historique de la Marine sont jetées. De très nombreux classements sont réalisés, sous le contrôle de la commission supérieure des archives, créée en 1867.
La IIIe République donne aux archives de la Marine la physionomie qui sera encore la sienne au XXe siècle. L’arrêté ministériel du 24 juin 1887 fixe de manière irrévocable le cadre de classement des archives centrales en cours d’élaboration depuis quarante ans. Si les bases sont posées, les archives maritimes vont encore souffrir de deux amputations. En mars 1894, d’abord, les archives des colonies rejoignent leur nouveau ministère. En 1898 ensuite, Didier Neuville publie un État sommaire des archives de la Marine antérieures à la Révolution, un an avant que le ministre de la Marine, Édouard Lokroy, décrète leur transfert aux Archives nationales. Ce dépôt fut assez vite élargi pour certaines séries (service hydrographique, service général...) aux documents antérieurs à 1870, soit au total près de 1500 mètres linéaires. Cette mesure malencontreuse due essentiellement au manque de place conduisit à la dislocation d’une partie des fonds. Elle sera résolue à l’automne 2002 puisque les archives postérieures à 1790 devraient désormais être conservées intégralement aux Archives centrales de la Marine.
3. Le rattachement au Service historique de la Marine : classement, conservation et modernisation
C’est en 1919 que l’État-major général de la Marine décide la création d’un Service historique placé au départ sous les ordres du capitaine de frégate Castex, secondé par l’un des plus brillants archivistes de la première moitié du XXe siècle, Charles Braibant. L’objectif est double :
– d’une part, collecter la documentation nécessaire à l’étude du conflit qui vient de s’achever, en tirer les leçons stratégiques et tactiques et travailler en liaison avec l’École supérieure de guerre navale, installée dans les mêmes locaux, avenue Octave-Gréard ;
– d’autre part, organiser les archives et bibliothèques anciennes, les classer, les conserver et les communiquer. C’est en 1974 que les Archives centrales de la Marine prennent place au pavillon de la Reine du château de Vincennes.
Le principal enrichissement des archives contemporaines de la Marine vient évidemment des versements auxquels procèdent l’État-major, les cinq directions centrales, les bâtiments qui désarment ainsi que les divers services locaux. Mais il faut y joindre les entrées par voie extraordinaire : la diversité marque les versements qui procèdent tantôt de la générosité d’une famille, tantôt du sauvetage des archives d’une grande association (société nationale de sauvetage en mer, leYacht club de France...), tantôt de la restitution de fonds (fonds de l’État-major entre 1930 et 1942 par la Russie) ou encore d’une acquisition en vente publique ou dans les librairies spécialisées. Au total, le pavillon de la Reine, auquel une annexe a été adjointe au fort de Romainville en 2000, accueille aujourd’hui près de 15 000 mètres linéaires de documents produits pour l’essentiel après 1790.
Si le travail des Archives centrales est largement centré sur la collecte et le traitement des archives contemporaines, en concertation avec les services producteurs et les chercheurs, il ne faudrait pas finir sans évoquer le plan de sauvegarde pluriannuel lancé en 1999, qui a déjà permis la restauration, le reconditionnement, le microfilmage et la numérisation de nombreux documents ainsi que l’acquisition de mobilier de conservation et de système de contrôle des conditions climatiques. Parallèlement, l’informatisation des archives centrales est en cours : un progiciel de gestion devrait être installé en 2003 et s’inscrire dans un programme plus large de gestion informatisée de l’ensemble des documents produits par la Marine.
Ainsi, entre archives historiques et archives électroniques, l’échelon central des Archives de la Marine assure parfaitement son rôle de témoin entre patrimoine et modernité.
Pascal Geneste, 2002