Journée internationale des archives 2024 : Les archives, soutien essentiel à la démocratie

En 2024, les élections législatives belges ont lieu en même temps que la Journée internationale des Archives (JIA). À cet égard, l’Association des archivistes francophones de Belgique (AAFB) s’est lancée dans la préparation d’une campagne de sensibilisation pour rappeler le lien entre archives et démocratie. Au programme l’AAFB organise une action tous les 9 du mois jusqu’à la JIA : interviews vidéos, articles de sensibilisation, demandes d’engagement de la part des ministres sur la conservation de leurs archives, etc. Pour mettre en perspective la relation entre archives et la démocratie, l’AAFB a contacté ses associations francophones sÅ“urs défendant elles aussi le secteur pour réaliser une action commune : le Veräin vun de Lëtzebuerger Archivisten (VLA – Association des archivistes luxembourgeois), l’Association des archivistes du Québec (AAQ) et l’Association des archivistes français (AAF).

dimanche 9 juin 2024
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La ques­tion du lien entre archi­ves et démo­cra­tie est néan­moins très vaste pour être trai­tée dans un seul arti­cle, en raison de la plu­ra­lité des angles pou­vant être trai­tés : trans­pa­rence démo­cra­ti­que, délais de consul­ta­tion, archi­ves minis­té­riel­les, dua­lité entre les archi­ves dites publi­ques et celles dites pri­vées, légis­la­tion, etc. ; et cela sans pren­dre en compte les par­ti­cu­la­ri­tés que connaît chaque pays. C’est pour­quoi nous avons choisi de rester dans une cer­taine géné­ra­lité, s’empê­chant par moment d’aller au bout de la ques­tion. L’ambi­tion de cet arti­cle est avant tout de sen­si­bi­li­ser le citoyen et la société civile sur son droit dans une démo­cra­tie de pou­voir consul­ter les archi­ves pro­dui­tes par les ins­ti­tu­tions publi­ques, par les gou­ver­ne­ments, par les cabi­nets des minis­tres, etc.

L’arti­cle est pro­posé comme une inter­view en cinq ques­tions abor­dant chacun un angle dif­fé­rent : l’impor­tance des archi­ves pour la démo­cra­tie, la gou­ver­nance res­pon­sa­ble et trans­pa­rente, les archi­ves pro­dui­tes lors d’élections et les contrain­tes sur la consul­ta­tion directe des archi­ves. Chaque asso­cia­tion est à l’ini­tia­tive de la rédac­tion d’une des ques­tions, à l’excep­tion de la pre­mière qui a béné­fi­cié d’une écriture col­lec­tive : c’est pour­quoi ces der­niè­res sont signées par l’une des asso­cia­tions.

Avant de passer aux ques­tions, on vous pro­pose une pré­sen­ta­tion suc­cincte des asso­cia­tions autri­ces.

-* Association des archi­vis­tes fran­Ã§ais (AAF)
Fondée en 1904, l’Association des archi­vis­tes fran­Ã§ais (AAF) regroupe aujourd’hui plus de 3.000 pro­fes­sion­nels des archi­ves du sec­teur public comme du sec­teur privé.
Consciente du défi que repré­sente dans le monde contem­po­rain la maî­trise de la pro­duc­tion docu­men­taire et de l’infor­ma­tion qu’elle ren­ferme, dési­reuse de faire enten­dre la voix de la pro­fes­sion face aux défis qui se pré­sen­tent à elle, l’Association a pour objet l’étude des ques­tions inté­res­sant les archi­ves et les archi­vis­tes, ainsi que la pro­mo­tion et la défense des inté­rêts de la pro­fes­sion, par tous les moyens appro­priés.
Elle se défi­nit ainsi comme un organe per­ma­nent de réflexion, de for­ma­tion et d’ini­tia­tive au ser­vice des sour­ces de notre mémoire, celles d’hier comme celles de demain.
Ses prin­ci­paux objec­tifs sont la pro­mo­tion de la pro­fes­sion, l’édition de publi­ca­tion sur les archi­ves pour un large public, l’orga­ni­sa­tion de nom­breux col­lo­ques et jour­nées d’étude et la for­ma­tion conti­nue des pro­fes­sion­nels des archi­ves.

-* Association des archi­vis­tes fran­co­pho­nes de Belgique (AAFB)
L’Association des archi­vis­tes fran­co­pho­nes de Belgique (AAFB asbl) est une asso­cia­tion repré­sen­tant les archi­vis­tes et ges­tion­nai­res de l’infor­ma­tion fran­co­pho­nes de Belgique. Fondée en 2005 à l’ini­tia­tive d’une dizaine de per­son­nes, l’AAFB se veut une asso­cia­tion dyna­mi­que et à l’écoute des atten­tes et des besoins de ses mem­bres. L’asso­cia­tion réunit plus de 150 mem­bres qui par­ta­gent une pas­sion et un métier com­muns : la ges­tion et la valo­ri­sa­tion des archi­ves et de l’infor­ma­tion.
L’asso­cia­tion a pour buts de favo­ri­ser les contacts et de déve­lop­per la col­la­bo­ra­tion entre les pro­fes­sion­nels, de pro­mou­voir le métier d’archi­viste et ges­tion­naire de l’infor­ma­tion ainsi que de sen­si­bi­li­ser à la conser­va­tion, à l’uti­li­sa­tion et à la valo­ri­sa­tion des archi­ves, consi­dé­rées comme ins­tru­ment d’admi­nis­tra­tion, comme fon­de­ment du droit, comme élément du patri­moine cultu­rel et comme l’une des sour­ces de l’his­toire.

-* Association des archi­vis­tes du Québec (AAQ)
Fondée en 1967, l’Association des archi­vis­tes du Québec (AAQ) regroupe près de 600 mem­bres, archi­vis­tes et spé­cia­lis­tes de l’archi­vis­ti­que, qui Å“uvrent au sein des orga­nis­mes publics et privés afin d’assu­rer une saine ges­tion des docu­ments et des archi­ves. Elle a pour mis­sion de regrou­per les per­son­nes phy­si­ques ou mora­les qui adhè­rent aux valeurs fon­da­men­ta­les de l’Association et qui offrent à leurs clien­tè­les des ser­vi­ces liés à la ges­tion de l’infor­ma­tion. Elle four­nit également à ses mem­bres des ser­vi­ces en fran­Ã§ais pro­pres à assu­rer le déve­lop­pe­ment, l’enri­chis­se­ment et la pro­mo­tion de leur pro­fes­sion. L’AAQ inter­vient dans dif­fé­rents dos­siers pour pro­mou­voir l’exper­tise des archi­vis­tes, dont les normes en ges­tion docu­men­taire, les normes de des­crip­tion des docu­ments d’archi­ves défi­ni­ti­ves ainsi que la révi­sion de lois dont des éléments concer­nent la ges­tion de l’infor­ma­tion, des don­nées et des docu­ments. En plus d’être pré­sente sur le ter­ri­toire qué­bé­cois, l’AAQ est active et siège sur divers comi­tés et ins­tan­ces natio­na­les (Conseil cana­dien des archi­ves, Comité direc­teur sur les archi­ves cana­dien­nes) et inter­na­tio­na­les (Conseil inter­na­tio­nal des archi­ves).

-* Veräin vun de Lëtzebuerger Archivisten – Association des Archivistes Luxembourgeois (VLA)
Le Veräin vun de Lëtzebuerger Archvisten (VLA), est une asso­cia­tion sans but lucra­tif fondée le 9 juin 2014 qui compte actuel­le­ment 100 mem­bres indi­vi­duels et ins­ti­tu­tion­nels. Le VLA, par ses sta­tuts, adhère aux prin­ci­pes prévus dans la Déclaration uni­ver­selle des archi­ves de l’ICA et dans le code de déon­to­lo­gie des archi­vis­tes.
Ses mis­sions prin­ci­pa­les consis­tent à : la mise en réseau et la coo­pé­ra­tion entre ses mem­bres ; la for­ma­tion (conti­nue) de ses mem­bres ; l’orga­ni­sa­tion de confé­ren­ces scien­ti­fi­ques dans le domaine de l’archi­vage ; la créa­tion de rela­tions avec des orga­ni­sa­tions natio­na­les et inter­na­tio­na­les aux objec­tifs simi­lai­res ; le conseil pro­fes­sion­nel de ses mem­bres ; l’élaboration de prises de posi­tion et d’avis par rap­port aux déve­lop­pe­ments natio­naux et inter­na­tio­naux dans les domai­nes de l’archi­vage (lois, élections, déon­to­lo­gie,…) et la pro­mo­tion de l’archi­vage, du métier d’archi­viste et des archi­ves dans l’opi­nion publi­que.
Ses acti­vi­tés prin­ci­pa­les sont l’orga­ni­sa­tion du Mois des archi­ves, l’orga­ni­sa­tion de la Journée des archi­vis­tes (un col­lo­que scien­ti­fi­que inter­na­tio­nal à l’occa­sion de la Journée inter­na­tio­nale des Archives le 9 juin) et l’orga­ni­sa­tion d’une ren­contre men­suelle autour d’un événement (expo­si­tion, confé­rence, visite guidée, etc.).


1) De quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’archi­ves ? Est-ce le même concept en Belgique, en France, au Luxembourg et au Québec du point de vue légis­la­tif ?

Pays Belgique France Luxembourg Québec
Définition Documents datant de plus de 30 ans conservés par les tribunaux de l’ordre judiciaire, le Conseil d’État, les administrations de l’État, les provinces et les établissements publics qui sont soumis à leur contrôle ou à leur surveillance administrative étant déposés - sauf dispense régulièrement accordée - en bon état, ordonnés et accessibles aux Archives de l’État.
Les documents datant de plus de trente ans conservés par les communes et par les établissements publics qui sont soumis à leur contrôle ou à leur surveillance administrative peuvent être déposés aux Archives de l’État. (Article 1 de la Loi relative aux archives)
Les archives sont l’ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. (Article L211-1 du Code du Patrimoine) Les archives sont l’ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. (Article 2, § 1 de la Loi relative à l’archivage) Ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale. (Article 2 de la Loi sur les archives (RLRQ, chap. A-21.1)
Assise légale Loi relative aux archives Code du patrimoine Loi du 17 août 2018 relative à l’archivage Loi sur les archives
Année d’adoption 24 juin 1955 15 juillet 2008 17 août 2018 Décembre 1983
Année de modifications Le 6 mai 2009, cette loi a été modifiée pour réduire le délai d’ouverture des archives publiques de 100 à 30 ans dans un objectif de transparence des administrations et aussi pour faciliter le travail des historiens. Cette révision a aussi permis de faire avancer quelques dossiers sensibles, dont celui des archives héritées de la période coloniale. À l’origine : loi de 1979 avec des modifications en 2008 (code du Patrimoine), 2016 (loi LCAP) et 2021 : introduction de la notion de “données” en lien avec le mouvement open data de l’administration, délais de communicabilité, encadrement de l’externalisation, définition du périmètre des trésors nationaux Discussions en cours pour une modification générale de la loi.
Archives privées : modifications dans la Loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel
Mis à part la modification de la définition du mot « document » au début des années 2000, il y a eu peu de modifications à la loi depuis son adoption, mais un processus de modernisation de la Loi est actuellement en cours.
Portée Cette loi ne concerne que les documents publics datant de plus de 30 ans, principalement au niveau fédéral. Elle légifère surtout sur le rôle des Archives Générales du Royaume et des Archives de l’État, institution fédérale ayant pour principal rôle la conservation des archives d’institutions fédérales publiques.
Il convient néanmoins de préciser qu’en raison de la lasagne institutionnelle de la Belgique, il existe une législation à chaque niveau de pouvoir complétant cette loi sur les archives de 1955, proposant une nouvelle définition des archives publiques : en Région wallonne (2001), en Région Bruxelles-Capitale (2009), en Région flamande et en Communauté néerlandaise (2010) et en Communauté française (2023). Il conviendrait donc pour avoir une vision d’ensemble de regarder à l’ensemble des définitions et non de se limiter : le choix dans ce tableau par souci de cohérence avec les autres colonnes est de ne proposer qu’une seule définition. Le parti pris est alors de présenter la définition au niveau de pouvoir le plus élevé pour les archives publiques. Il existe aussi deux législations pour les archives privées avec leurs propres définitions : celle du « décret relatif à la conservation et à la valorisation des archives d’intérêt patrimonial » en FWB et celle du « décret contenant la politique flamande du patrimoine culturel » en Communauté flamande.
L’essentiel des prescriptions du code du patrimoine concerne les archives publiques.
Le ministère de la Culture conçoit, pilote et contrôle l’action de l’État en matière d’archives à des fins administratives, civiques, historiques et culturelles. Par le Service interministériel des archives de France, ce ministère exerce toutes les attributions confiées à l’administration des archives par le code du Patrimoine, à l’exception de celles qui concernent les archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et celles du ministère des Armées.

Les organismes soumis à cette législation ont pour obligation de respecter les principes suivants :
– Contrôle scientifique et technique
– Visa des éliminations
– Déclaration des externalisations
– Communication selon les prescriptions du code du patrimoine

Le code du patrimoine doit également s’articuler avec :
– le Code des relations entre le public et l’administration,
– le code pénal (pour les documents classifiés),
– le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et la loi CNIL mais aussi toute législation qui définit des règles d’accès
La loi s’applique aux archives privées et publiques.

Art. 2 [...]
2. « archives publiques » : les documents visés au point 1. produits ou reçus par les administrations et services de l’État, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics de l’État et des communes, la Chambre des députés, le Conseil d’État, le Médiateur, la Cour des comptes, l’Institut grand-ducal, la Cour grand-ducale pour ce qui est des documents relevant de la fonction du chef d’État, l’Archevêché de Luxembourg, les Consistoires de l’Église protestante et de l’Église protestante réformée du Luxembourg, le Consistoire administratif de l’Église protestante du Luxembourg, le Consistoire israélite, l’Église anglicane du Luxembourg, l’Église orthodoxe au Luxembourg, les Églises orthodoxes hellénique, roumaine, serbe et russe établies au Luxembourg, la Shoura, assemblée de la Communauté musulmane du Grand-Duché de Luxembourg ainsi que le Fonds de gestion des édifices religieux et autres biens relevant du culte catholique. Sont également visés les minutes et répertoires des notaires ;

3. « archives privées » : les documents visés au point 1. qui n’entrent pas dans le champ d’application du point 2.
La loi sur les archives s’applique, selon des modalités différentes, à tous les organismes réputés publics en vertu de l’Annexe de la Loi sur les archives.

Le Canada ainsi que certaines autres provinces ont leur propre loi sur les archives.

2) Le préam­bule de la Déclaration uni­ver­selle sur les archi­ves, adop­tée par l’UNESCO le 10 novem­bre 2011, fait le lien entre les archi­ves et « le main­tien et l’avan­ce­ment de la démo­cra­tie ». Comment se défi­nit-il dans notre société ?

Pour répon­dre à cette ques­tion, il faut com­men­cer par défi­nir les concepts. Dans les ques­tions pré­cé­den­tes, nous avons défini ce que sont les archi­ves, mais qu’est-ce qu’on entend par « démo­cra­tie » ?
Il s’agit d’un régime poli­ti­que où les citoyens élisent direc­te­ment leurs repré­sen­tants selon des moda­li­tés pro­pres à chaque État et où les actions des diri­geants res­pec­tent le cadre légis­la­tif en place. Et puis­que les archi­ves, comme le dit si bien la Déclaration dans son sous-titre, « consi­gnent les déci­sions, les actions et les mémoi­res », elles cons­ti­tuent une source d’infor­ma­tion sur la ges­tion des États par les repré­sen­tants du peuple. Mais pour garan­tir cette inté­grité et cette fia­bi­lité, il est pri­mor­dial que l’infor­ma­tion soit, dès sa créa­tion, enre­gis­trée, orga­ni­sée et pré­ser­vée afin qu’elle puisse être rendue acces­si­ble lors­que néces­saire aux per­son­nes à qui elle peut être trans­mise en fonc­tion des règles d’acces­si­bi­lité adop­tées par les légis­la­teurs.

Étant acces­si­bles aux citoyens, tout en res­pec­tant les autres légis­la­tions, notam­ment celles tou­chant la vie privée et les droits d’auteurs, les archi­ves cons­ti­tuent un rem­part contre l’arbi­traire, les faus­ses nou­vel­les et la dés­in­for­ma­tion et les extré­mis­mes. En per­met­tant de remon­ter direc­te­ment aux docu­ments, les archi­ves, si elles sont intè­gres, éclairent le passé récent ou plus ancien et faci­li­tent l’exer­cice de la démo­cra­tie en four­nis­sant aux indi­vi­dus une source d’infor­ma­tion fiable et authen­ti­que à partir de laquelle ils pour­ront exer­cer leur juge­ment sur le tra­vail de leurs com­met­tants.

Les archi­ves pro­tè­gent aussi les droits indi­vi­duels et col­lec­tifs en per­met­tant aux per­son­nes ou grou­pes qui se sen­tent lésés de se tour­ner vers leurs repré­sen­tants en fon­dant leurs reven­di­ca­tions sur des docu­ments fia­bles émanant des dif­fé­ren­tes admi­nis­tra­tions publi­ques. Et les exem­ples ne man­quent pas, que ce soit des exac­tions contre des grou­pes mar­gi­na­li­sés, des spo­lia­tions contre des popu­la­tions sur le ter­ri­toire ou dans les colo­nies, des vio­len­ces à carac­tère sexuel ou autres mau­vais trai­te­ments, on voit de plus en plus d’indi­vi­dus ou de grou­pes qui cher­chent par des actions socia­les, poli­ti­ques ou judi­ciai­res à obte­nir répa­ra­tion en s’appuyant sur des archi­ves pour étoffer leurs reven­di­ca­tions.
De la même manière, les archi­ves pro­tè­gent les États et les admi­nis­tra­tions publi­ques puis­que, tout comme les indi­vi­dus, ils se tour­nent vers leurs archi­ves pour faire valoir leurs droits face à d’autres États ou à des per­son­nes phy­si­ques ou mora­les, que ce soit dans le cas de liti­ges com­mer­ciaux, judi­ciai­res, moraux ou ter­ri­to­riaux.

Et puis­que les archi­ves sont aussi ancien­nes que les États, orga­nis­mes ou per­son­nes qui les ont pro­dui­tes, elles cons­ti­tuent également un rem­part contre le révi­sion­nisme his­to­ri­que à petite comme à grande échelle.
En fait, l’exis­tence même des archi­ves et des pro­fes­sion­nel.le.s de l’archi­vis­ti­que pour en pren­dre soin, contri­bue à la soli­dité du pro­ces­sus démo­cra­ti­que. C’est grâce à leur tra­vail que les citoyens seront assu­rés de pou­voir comp­ter sur une source d’infor­ma­tion authen­ti­que, fiable, lisi­ble, intel­li­gi­ble et acces­si­ble.
En cette jour­née inter­na­tio­nale des archi­ves, nous sommes fiers de pro­té­ger et de rendre acces­si­bles les archi­ves dans notre société.

Association des archivistes du Québec (AAQ)

3) Dans ce même préam­bule, les archi­ves sont défi­nies comme une source d’infor­ma­tion fiable pour une « gou­ver­nance res­pon­sa­ble et trans­pa­rente ». Comment cela s’adapte-t-il en pra­ti­que dans notre société ?

« Then where does the past exist, if at all ?
In records. It is writ­ten down.
In records. And - ?
In the mind. In human memo­ries.
In memory. Very well, then. We, the Party, control all records, and we control all memo­ries. Then we control the past, do we not ? »


« â€“ Alors où le passé existe-t-il, si jamais il existe ?
– Dans les archi­ves. Il est écrit.
– Dans les archi­ves. Et ?
– Dans les esprits. Dans les mémoi­res humai­nes.
– Dans les mémoi­res. Très bien, donc. Nous, le Parti, contrô­lons toutes les archi­ves, et nous contrô­lons toutes les mémoi­res. Alors nous contrô­lons le passé, n’est-ce pas ? »

Cette cita­tion de l’œuvre « 1984 » de Georges Orwell évoque un régime tota­li­taire qui, en contrô­lant le pré­sent, contrôle le passé et par consé­quent le futur. Malheureusement cette dis­cus­sion est loin d’être fic­tive. L’his­toire regorge de cas où des régi­mes auto­ri­tai­res ou tota­li­tai­res ont déli­bé­ré­ment détruit des archi­ves pour effa­cer des preu­ves com­pro­met­tan­tes ou anti­dé­mo­cra­ti­ques, réé­crire l’his­toire ou ren­for­cer leur pou­voir. L’accès aux archi­ves dans ces régi­mes n’est évidemment pas consi­déré comme un droit pour chaque citoyen. Bien au contraire, la com­mu­ni­ca­tion des archi­ves reste une déci­sion arbi­traire ins­ti­tu­tion­nelle.

C’est dans ce contexte que la Déclaration uni­ver­selle des archi­ves met en lumière l’impor­tance des archi­ves en tant que témoins des pra­ti­ques admi­nis­tra­ti­ves et leur rôle cru­cial dans le sou­tien de la trans­pa­rence et de l’obli­ga­tion de rendre des comp­tes. Elle insiste ainsi sur le rôle essen­tiel des archi­ves dans la pré­ser­va­tion et la pro­tec­tion de l’iden­tité des indi­vi­dus et des com­mu­nau­tés, rôle devant être sou­tenu et assuré. De même, le code de déon­to­lo­gie des archi­vis­tes de 1996 sou­li­gne que le devoir pre­mier des archi­vis­tes est de main­te­nir l’inté­grité des docu­ments qui relè­vent de leurs soins et de leur sur­veillance. Les archi­vis­tes par ce code ont l’obli­ga­tion de résis­ter à toute pres­sion, d’où qu’elle vienne, visant à mani­pu­ler les témoi­gna­ges comme à dis­si­mu­ler ou défor­mer les faits.

Pour que les archi­ves puis­sent plei­ne­ment assu­mer ce rôle démo­cra­ti­que, un État doit se doter d’un cadre légal régis­sant la col­lecte et la com­mu­ni­ca­tion des archi­ves, dans le but de les rendre acces­si­bles à tous, dans le res­pect des lois en vigueur. Seules des archi­ves ver­sées à des ins­ti­tu­tions d’archi­ves où elles sont gérées et conser­vées dans des condi­tions garan­tis­sant l’authen­ti­cité, l’inté­grité et l’acces­si­bi­lité la plus large pos­si­ble, peu­vent être com­mu­ni­quées aux citoyens. Cependant même dans les États démo­cra­ti­ques, la volonté de trans­pa­rence des gou­ver­ne­ments et donc des pro­duc­teurs d’archi­ves publi­ques n’est pas tou­jours mani­feste.

Par ailleurs, cer­tai­nes légis­la­tions exi­gent l’accord du pro­duc­teur pour établir le sort final (ou la dis­po­si­tion finale) du docu­ment, soit la déci­sion de conser­ver ou de sup­pri­mer le docu­ment), ce qui permet in fine aux ser­vi­ces ver­sants de s’oppo­ser au ver­se­ment des archi­ves à des ins­ti­tu­tions d’archi­ves.
Par ailleurs, les délais de pro­tec­tion ont par­fois ten­dance à être si longs que l’accès aux archi­ves en soi est com­pro­mis, pou­vant mener à des à des dénis de démo­cra­tie.

La défi­ni­tion du concept d’archi­ves publi­ques donne lieu à dis­cus­sion dans cer­tains cas. D’aucuns consi­dè­rent que des archi­ves de nature publi­que leur appar­tien­nent et qu’elles doi­vent du coup être conser­vées à leur domi­cile. Ce sen­ti­ment peut décou­ler de l’idée selon laquelle une per­sonne qui est auteur d’un docu­ment ou qui est impli­quée dans une affaire pos­sède un droit de pro­priété sur celui-ci. Dans d’autres cas, le statut des archi­ves n’est pas réglé selon les prin­ci­pes de démo­cra­tie et de trans­pa­rence : ainsi, cer­tai­nes enti­tés (telles les com­mu­nes ou les partis poli­ti­ques au Luxembourg ou encore les man­da­tai­res poli­ti­ques en Belgique) sont exclues, en tout ou en partie, de la loi sur l’archi­vage.

Au Québec, l’adop­tion de la Loi sur les archi­ves en 1983 a iden­ti­fié les orga­nis­mes répu­tés publics au sens de la Loi, notam­ment les minis­tè­res et orga­nis­mes gou­ver­ne­men­taux. La loi oblige toute per­sonne titu­laire d’une fonc­tion dans un de ces orga­nis­mes à « lais­ser sous la garde de cet orga­nisme les docu­ments qu’elle a pro­duits ou reçus en cette qua­lité. » (art. 12). Au Luxembourg, la loi sur les archi­ves de 2018 consi­dère les archi­ves, les docu­ments pro­duits ou reçus par les admi­nis­tra­tions et ser­vi­ces de l’État comme archi­ves publi­ques (art. 2, §2) qui sont à trai­ter de telle sorte.

La pénu­rie des res­sour­ces humai­nes et finan­ciè­res est également un obs­ta­cle. Une ins­ti­tu­tion d’archi­ves qui manque de per­son­nel pour inven­to­rier ses fonds ignore le contenu des dépôts, ce qui l’empê­che de les rendre acces­si­bles aux citoyens et contre­vient aux valeurs de la Déclaration uni­ver­selle des archi­ves.
Pour évaluer si un État prend au sérieux cette mis­sion démo­cra­ti­que, il faut porter une atten­tion à beau­coup d’éléments dif­fé­rents, car comme sou­vent « le diable se cache dans les détails ».

Veräin vun de Lëtzebuerger Archivisten – Association des Archivistes Luxembourgeois (VLA)

4) Les élections cons­ti­tuent un moment fort de la démo­cra­tie. Quels rôles jouent les archi­ves à cet égard ?

Les élections sont impor­tan­tes pour la démo­cra­tie et les partis poli­ti­ques, étant un moment de tran­si­tion entre deux légis­la­tu­res. Lors de chaque fin de légis­la­ture, les dif­fé­rents gou­ver­ne­ments et les assem­blées par­le­men­tai­res sont dis­sous. Dans l’attente du résul­tat des élections et de la mise en place d’une nou­velle majo­rité par­le­men­taire, le gou­ver­ne­ment bas­cule en affai­res cou­ran­tes pour assu­rer la conti­nuité du fonc­tion­ne­ment de l’État et les par­le­men­tai­res ter­mi­nent leur mandat. La par­ti­cu­la­rité de la Belgique est que les minis­tres en fonc­tion dis­po­sent d’une équipe de col­la­bo­ra­teurs et col­la­bo­ra­tri­ces impor­tante (entre 30 à 70 per­son­nes) pour les conseiller, pré­pa­rer le tra­vail poli­ti­que ainsi que leur com­mu­ni­ca­tion, etc. Ces struc­tu­res sont appe­lées des cabi­nets minis­té­riels.

De nom­breux docu­ments et don­nées sont pro­duits par ces cabi­nets minis­té­riels et l’ensem­ble de ces infor­ma­tions ne se retrou­vent pas sys­té­ma­ti­que­ment conser­vées par les admi­nis­tra­tions publi­ques dont les minis­tres ont la charge. Il convient donc d’assu­rer lorsqu’un minis­tre quitte ses fonc­tions que ces infor­ma­tions soient cor­rec­te­ment archi­vées afin d’assu­rer le contrôle a pos­te­riori tel que prévu par tout état démo­cra­ti­que. Or, en Belgique, tant la légis­la­tion sur les archi­ves que la légis­la­tion sur le fonc­tion­ne­ment des cabi­nets ne sont pas clai­res concer­nant le sort réservé aux archi­ves de cabi­nets. Ces archi­ves sont donc géné­ra­le­ment consi­dé­rées comme pri­vées et le pro­duc­teur a le choix sur la des­ti­na­tion finale de ces docu­ments : la déchi­que­teuse ou la conser­va­tion. Ce flou permet aux res­pon­sa­bles poli­ti­ques d’éliminer, de garder pour eux cer­tains dos­siers après leur sortie de charge ou de les verser à un ser­vice d’archi­ves. Depuis de nom­breu­ses années, les archi­vis­tes belges se mobi­li­sent pour dénon­cer ces des­truc­tions mas­si­ves et pour rendre effec­tif dans les légis­la­tions le carac­tère public de ces archi­ves. Ce pro­blème n’est d’ailleurs pas uni­que­ment limité au ter­ri­toire belge. Au Québec, lorsqu’un député ne repré­sente pas ou s’il n’est pas réélu dans sa cir­cons­crip­tion, il est en droit de pren­dre tous les dos­siers conte­nant les deman­des de citoyens ou d’orga­nis­mes de la cir­cons­crip­tion. Il y a donc un risque que le député sorte avec tous ces dos­siers, rédui­sant à néant toutes les démar­ches déjà entre­pri­ses.

En France, pour pal­lier ce pro­blème et assu­rer la col­lecte des archi­ves minis­té­riel­les, il existe depuis les années 1970 les pro­to­co­les de remi­ses. Ils rap­pel­lent le carac­tère public des docu­ments pro­duits, autant par le minis­tre que par son cabi­net. Ce sys­tème demande néan­moins une vigi­lance après chaque élection ou rema­nie­ment de gou­ver­ne­ment pour assu­rer la signa­ture et la col­lecte. Les minis­tres n’ayant ni signé, ni remis leurs archi­ves sont d’ailleurs signa­lés avec des notes inter­nes au sein du ser­vice inter­mi­nis­té­riel des archi­ves. Ces der­niè­res sont ensuite por­tées à la connais­sance des secré­tai­res géné­raux des minis­tè­res.
Pour donner un chif­fre du cas belge, lors des 20 der­niè­res années, seuls 42% des minis­tres fran­co­pho­nes ont déposé a minima une archive dans un ser­vice d’archi­ves publi­ques ou pri­vées. Or, ces archi­ves ont une double impor­tance pour toute démo­cra­tie. Premièrement elles per­met­tent de com­pren­dre le che­mi­ne­ment des déci­sions poli­ti­ques depuis la genèse d’un projet de loi en pas­sant par les négo­cia­tions entre les dif­fé­rents minis­tres mais aussi l’apport des repré­sen­tants de la société civile ou le rôle de cer­tains lobbys qui sou­hai­tent faire avan­cer leur vision spé­ci­fi­que du sujet débattu. Deuxièmement, si ces archi­ves étaient ver­sées au terme de chaque légis­la­ture, cela per­met­trait aux citoyens d’assu­rer leur droit de regard sur la chose publi­que : carac­té­ris­ti­que de toutes les démo­cra­ties. Enfin, elles per­met­tent aussi aux minis­tres de pou­voir y retour­ner pour se défen­dre, jus­ti­fier un point, se rap­pe­ler d’une posi­tion et assu­rer une meilleure ges­tion des deniers publics plutôt que de réin­ven­ter cer­tai­nes déci­sions par manque de mémoire.
Concernant les archi­ves des par­le­men­tai­res, signa­lons que l’ensem­ble des dis­cus­sions et docu­ments par­le­men­tai­res sont archi­vés au fur et à mesure de leur pro­duc­tion par les ser­vi­ces des archi­ves des par­le­ments. Par ailleurs, chaque groupe par­le­men­taire et chaque par­le­men­taire cons­ti­tue des dos­siers sur les matiè­res qu’il suit et sur les ren­contres qu’il fait tout au long de ce mandat, il est donc aussi impor­tant de pou­voir conser­ver les traces de ce tra­vail.

Enfin, au sein des partis poli­ti­ques, le pro­ces­sus électoral lui-même génère une série de docu­ments : les pro­gram­mes des partis poli­ti­ques, le tra­vail et les débats qui ont pris place autour de leur rédac­tion, la com­po­si­tion des listes de can­di­dats, le maté­riel de cam­pa­gne (visuels, tracts, etc.), les pro­cé­du­res de la cam­pa­gne conser­vées sur­tout pour le fonc­tion­ne­ment interne du parti, les résul­tats des son­da­ges offi­cieux et offi­ciels, des rap­ports et autres ana­ly­ses diver­ses, etc. Il est donc essen­tiel que tous ces docu­ments soient conser­vés par des ser­vi­ces d’archi­ves. Il faut tout de même pré­ci­ser que ces archi­ves sont consi­dé­rées comme pri­vées, que ce soit pour la Belgique, la France, le Luxembourg ou le Québec. Les archi­ves des partis poli­ti­ques sont acces­si­bles à tout le monde, selon le res­pect des lois et des conven­tions de dons ou de dépôts et des normes archi­vis­ti­ques et patri­mo­nia­les en vigueur. Il y a néan­moins quel­ques excep­tions : par exem­ple, au Québec, pour les docu­ments entou­rant l’auto­ri­sa­tion et le finan­ce­ment des partis poli­ti­ques ou ceux sur la ges­tion des élections comme les listes d’électeurs, l’enca­dre­ment des dépen­ses électorales, etc. En effet, ces der­niers tom­bent sous le coup de la Loi sur les archi­ves puisqu’ils sont pro­duits par le Directeur géné­ral des élections, per­sonne dési­gnée par l’Assemblée natio­nale pour exer­cer cette fonc­tion.
Chaque archi­viste qui s’occupe d’archi­ves poli­ti­ques, se rap­pelle régu­liè­re­ment le texte de la Déclaration uni­ver­selle sur les Archives : « Les archi­ves cons­ti­tuent un patri­moine unique et irrem­pla­Ã§a­ble trans­mis de géné­ra­tion en géné­ra­tion. Les docu­ments sont gérés dès leur créa­tion pour en pré­ser­ver la valeur et le sens. Sources d’infor­ma­tions fia­bles pour une gou­ver­nance res­pon­sa­ble et trans­pa­rente, les archi­ves jouent un rôle essen­tiel dans le déve­lop­pe­ment des socié­tés en contri­buant à la cons­ti­tu­tion et à la sau­ve­garde de la mémoire indi­vi­duelle et col­lec­tive. L’accès le plus large aux archi­ves doit être main­tenu et encou­ragé pour l’accrois­se­ment des connais­san­ces, le main­tien et l’avan­ce­ment de la démo­cra­tie et des droits de la per­sonne, la qua­lité de vie des citoyens ».

Association des archivistes francophones de Belgique (AAFB)


5) L’exis­tence de lois limi­tant l’accès à l’infor­ma­tion peut être consi­dé­rée comme anti­dé­mo­cra­ti­que, comme cela a été cité dans l’une des ques­tions pré­cé­den­tes. Quelles sont-elles et que cela signi­fie-t-il dans notre société ?

La société est mar­quée actuel­le­ment par des atten­tes oppo­sées, sou­vent irré­conci­lia­bles, à la limite de la schi­zo­phré­nie : chaque indi­vidu sou­haite que ses don­nées soient pro­té­gées, ano­ny­mi­sées, tout en récla­mant une trans­pa­rence la plus totale de l’État… Deux poids, deux mesu­res… qu’il est par­fois dif­fi­cile d’accor­der. Le très récent ouvrage État secret, État clan­des­tin, essai sur la trans­pa­rence démo­cra­ti­que de Sébastien-Yves Laurent revient jus­te­ment sur la créa­tion des secrets d’État, de l’État secret, des exi­gen­ces de publi­cité - au sens de rendre public - qui sont sou­vent liées aux archi­ves elles-mêmes, à la créa­tion des ser­vi­ces d’archi­ves ou à la pro­duc­tion de lois ou recueils de textes par exem­ple. En France, le débat en cours concer­nant l’accès aux cahiers citoyens issus de la mobi­li­sa­tion des gilets jaunes l’illus­tre. Conservés aux Archives dépar­te­men­ta­les pour la ver­sion papier, une partie de ces der­niers ne peu­vent être libre­ment com­mu­ni­qués au regard des nom­breu­ses don­nées per­son­nel­les qu’ils contien­nent ; en tout état de cause, leur mise en ligne dans leur forme actuelle est dif­fi­ci­le­ment envi­sa­gea­ble, même si elle est récla­mée.

Le cadre juri­di­que des archi­ves en France, comme dans de nom­breux autres pays, relève de la loi ; elles sont le bien col­lec­tif de la Nation alors même que, pro­dui­tes par les admi­nis­tra­tions, ces der­niè­res sont long­temps res­tées per­sua­dées - et peut-être même le sont-elles encore main­te­nant - qu’elles en étaient pro­prié­tai­res. En 2008 fut adop­tée une loi rédui­sant les délais d’accès fixés en 1979. Ainsi dis­pa­rais­sait le délai de droit commun de 30 ans d’accès aux archi­ves publi­ques : elles deve­naient immé­dia­te­ment com­mu­ni­ca­bles de droit, sauf secrets à pro­té­ger. En paral­lèle, le délai spé­cial pour le secret de la défense natio­nale, la vie privée et la sûreté de l’État pas­sait de 60 à 50 ans. Le Conseil cons­ti­tu­tion­nel est même allé jusqu’à reconnaî­tre dans une de ses déci­sions que le droit d’accès aux archi­ves était une liberté publi­que garan­tie cons­ti­tu­tion­nel­le­ment. Toutefois ces délais géné­raux, rela­ti­ve­ment ouverts, ren­contrent, se confron­tent, s’oppo­sent à la clas­si­fi­ca­tion “secret Défense”. Au Luxembourg, la loi indi­que le délai de com­mu­ni­ca­tion des archi­ves publi­ques avec dif­fé­rents scé­na­rios selon le contenu des dos­siers. Quant au Québec, c’est la Loi sur l’accès aux docu­ments des orga­nis­mes publics et sur la pro­tec­tion des ren­sei­gne­ments per­son­nels qui fixe les délais d’accès. Pour sa part, la loi sur les archi­ves rend pos­si­ble la consul­ta­tion de docu­ments conte­nant des ren­sei­gne­ments per­son­nels à des fins d’études pri­vées, de recher­che ou de sta­tis­ti­ques, dans cer­tai­nes condi­tions, mais sans publi­ca­tion des ren­sei­gne­ments per­son­nels.

À côté de ce droit d’accès, a plus récem­ment émergé dans notre société le droit au res­pect de la vie privée, né dans le contexte de l’infor­ma­ti­sa­tion des admi­nis­tra­tions. Il exis­tait déjà pré­cé­dem­ment une notion de pro­tec­tion des “secrets des famil­les” qui jus­ti­fiait d’ailleurs le délai de 50 ans pour la régle­men­ta­tion des archi­ves. En France dès 1970, à la suite des trans­for­ma­tions tech­no­lo­gi­ques, à l’usage des « ban­ques de don­nées », par exem­ple dans les ser­vi­ces de police ou de ren­sei­gne­ment, une loi était votée pour garan­tir les droits indi­vi­duels des citoyens avec ins­crip­tion au Code civil que « chacun a droit au res­pect de sa vie privée ». La loi dite loi CNIL de 1978 est venue ren­for­cer le texte pour les fichiers sur sup­port infor­ma­ti­que, confor­tant le prin­cipe d’une vie privée numé­ri­que. Paradoxe pour­tant, cette même loi intro­dui­sait le prin­cipe de fichiers de sou­ve­rai­neté, c’est-à-dire que des fichiers spé­ci­fi­ques, fai­sant appa­raî­tre des don­nées quant aux ori­gi­nes racia­les, aux opi­nions poli­ti­ques ou reli­gieu­ses, ou encore aux appar­te­nan­ces syn­di­ca­les, pou­vaient être créés et conser­vés pour la sûreté de l’État, la défense et la sécu­rité publi­que sans être soumis à l’obli­ga­tion de publi­cité. Ce statut déro­ga­toire ne fut jamais remis en cause.

Quant à la trans­pa­rence, si sou­vent récla­mée comme abou­tis­sant à l’ouver­ture totale des archi­ves, elle est issue de la volonté de publi­cité, dans le sens du « rendre public » tout en se posi­tion­nant dif­fé­rem­ment : la publi­cité était direc­te­ment mise en Å“uvre par ses acteurs, ils en maî­tri­saient la forme, la tem­po­ra­lité, le contenu et s’en ser­vaient pour jouer sur l’opi­nion. La trans­pa­rence, elle, trouve son ori­gine dans les besoins des acteurs économiques et des mar­chés finan­ciers, pour s’étendre vers l’État. Que ce soit dans un contexte privé ou public, l’objec­tif reste l’opti­mi­sa­tion des moyens et l’amé­lio­ra­tion de l’action publi­que pour l’État. Cette trans­pa­rence n’a alors pas de limite, est syno­nyme d’ouver­ture et porte en elle une image de moder­nité. L’ouvrage pré­cé­dem­ment cité note que cette trans­pa­rence bran­die en étendard entend s’appli­quer dans des États où, de manière para­doxale, voire contra­dic­toire, « la vie démo­cra­ti­que est fondée depuis le XIXe siècle sur un secret car­di­nal – le vote – ». La notion de trans­pa­rence est omni­pré­sente dans les dis­cours, la légis­la­tion a mis du temps à défi­nir la notion et c’est en 2011 avec la créa­tion d’Etalab que l’État fran­Ã§ais a affirmé « lancer, dès 2013, des tra­vaux sur la trans­pa­rence de l’action publi­que et des ins­ti­tu­tions, notam­ment en ouvrant le débat sur la mise à dis­po­si­tion de don­nées ».

La ten­sion mémo­rielle est actuel­le­ment forte, et l’on peut noter depuis les années 1990 des atten­tes crois­san­tes concer­nant l’accès aux archi­ves, que ce soit de la spo­lia­tion des biens juifs pen­dant la Seconde Guerre mon­diale, des guer­res colo­nia­les, ou encore du géno­cide des Tutsis au Rwanda. Ces der­niè­res émanent des his­to­riens, des cher­cheurs, des jour­na­lis­tes, mais aussi par­fois de citoyens. En réponse, des com­mis­sions et des tra­vaux d’experts ont débou­ché sur des opé­ra­tions de déclas­si­fi­ca­tion ou de déro­ga­tions géné­ra­les : ce fut le cas pour l’accès aux archi­ves de l’occu­pa­tion alle­mande en 1997, ou, suite à la paru­tion de l’ouvrage Toxique , pour la mise en place de la com­mis­sion d’ouver­ture des archi­ves des essais nucléai­res en Polynésie fran­Ã§aise en 2021. Ce besoin de trans­pa­rence s’est trouvé par­ti­cu­liè­re­ment exa­cerbé quand il a buté en 2020 sur le clas­si­fié défense, révé­lant l’incom­pa­ti­bi­lité entre deux textes juri­di­ques, le Code du patri­moine d’un côté et le Code pénal de l’autre. Ce régime de déro­ga­tion n’existe pas au Québec, dans la Loi sur les archi­ves, mais une demande de consul­ta­tion de docu­ments conte­nant des ren­sei­gne­ments per­son­nels peut être intro­duite en vertu de la Loi sur l’accès aux docu­ments des orga­nis­mes publics et sur la pro­tec­tion des ren­sei­gne­ments per­son­nels. Depuis sep­tem­bre der­nier, c’est à chaque orga­nisme de répon­dre à ces deman­des plutôt qu’être trai­tées par la Commission d’accès à l’infor­ma­tion avec toutes les déri­ves que cela peut entraî­ner, chaque orga­nisme ayant sa propre sen­si­bi­lité, des deman­des sem­bla­bles risque de ne pas obte­nir la même réponse. Par ailleurs, tout citoyen est main­te­nant informé qu’il a un droit sur ses don­nées, l’appli­ca­tion du RGPD en Europe a beau­coup aidé pour cela ; il est de plus en plus cons­cient qu’un ser­vice numé­ri­que se pré­sen­tant comme gra­tuit est fina­le­ment sou­vent financé par la moné­ti­sa­tion des don­nées récu­pé­rées par ledit ser­vice (“si c’est gra­tuit, c’est toi le pro­duit”), et il n’est pas rare de trou­ver des citoyens s’atten­dant à pou­voir effa­cer les don­nées les concer­nant.

Enfin, dans les socié­tés numé­ri­ques qui sont les nôtres, la sus­pi­cion peut naître de la non-maî­trise de l’outil infor­ma­ti­que (illec­tro­nisme). En effet, il est frap­pant de voir à quel point l’infor­ma­tion et sa cir­cu­la­tion sont au cÅ“ur des sys­tè­mes, ouvrant aux réseaux, offrant des pos­si­bi­li­tés de recher­che et d’accès démul­ti­pliées mais qu’en même temps ces pos­si­bi­li­tés peu­vent ins­til­ler du doute, inter­ro­ger sur le dark­net, inquié­ter sur ce qui appa­raît comme une trans­pa­rence toute rela­tive. Finalement, n’est-ce pas la confiance qui est alors remise en ques­tion ? Cette notion est aussi celle sur laquelle s’appuient les archi­vis­tes pour tra­vailler avec les pro­duc­teurs d’archi­ves, mais aussi avec le public, pour garan­tir une conser­va­tion et un accès aux don­nées. En France, la pro­cé­dure de ver­se­ment des archi­ves repose sur cette confiance, qui se mani­feste tout par­ti­cu­liè­re­ment dans le cas des pro­to­co­les de remise des archi­ves des cabi­nets minis­té­riels. Ces der­niers, conclus entre le ser­vice inter­mi­nis­té­riel des Archives de France et les déten­teurs d’archi­ves, cla­ri­fient les condi­tions dans les­quel­les les archi­ves sont remi­ses à l’admi­nis­tra­tion tant sur leur trai­te­ment que sur l’accès et la valo­ri­sa­tion. Ils sont ainsi décrits sur le site FranceArchives : « la col­lecte par les ser­vi­ces d’archi­ves com­pé­tents des docu­ments et don­nées pro­duits par les minis­tres et les mem­bres de leur cabi­net repré­sente un enjeu essen­tiel de trans­pa­rence… » et ils tra­dui­sent une « rela­tion de confiance avec leurs pro­duc­teurs ».
Publicité et secret il y a quel­ques dizai­nes d’années, trans­pa­rence et clas­si­fi­ca­tion aujourd’hui sont au cÅ“ur des enjeux d’accès à l’infor­ma­tion et les archi­vis­tes doi­vent garder l’équilibre pour garan­tir le bon fonc­tion­ne­ment de leur ser­vice tout en offrant aux usa­gers un bien commun.

Association des archivistes français (AAF)

Dès le début du projet, chacune des associations a parlé de la Déclaration universelle des Archives (DUA)pour travailler ce sujet. Cette dernière est un idéal que tout archiviste se doit de garder en tête, quel que soit son domaine d’activité. Presque chaque rédacteur la cite d’ailleurs dans sa réponse, au vu de sa transversalité et de son importance. C’est une déclaration d’intention et de solidarité entre les archivistes, les gestionnaires de documents, les professionnels de la documentation et le grand public. Elle a pour but d’informer ces derniers sur la valeur et les enjeux des archives. Elle les définit en lui reconnaissant entre autres leur rôle de trace toutes activités humaines et en revenant sur l’importance du travail des professionnels, s’éloignant de l’image des archives n’ayant qu’un rôle culturel. Elle souligne leur rôle essentiel pour la démocratie et les droits humains. Elle a été produite au sein de l’International Council on Archives (ICA) en 2009-2010 et approuvée par l’UNESCO en 2011. Cette Déclaration est un travail collaboratif entre des professionnels de différents pays qui ont dû adapter les particularités de l’archivistique de leur pays pour rendre ce texte intelligible à l’international et au grand public. La DUA est d’ailleurs traduite dans de nombreuses langues.

Après plu­sieurs mois de col­la­bo­ra­tion, nous sommes heu­reux de vous pré­sen­ter cet arti­cle. Ce der­nier est la preuve que le sec­teur de la ges­tion et pré­ser­va­tion de l’infor­ma­tion par­tage de nom­breu­ses réa­li­tés de ter­rain et doit faire face aux mêmes défis malgré des dif­fé­ren­ces natio­na­les. En cette Journée inter­na­tio­nale des Archives, nous sommes aussi fiers de mettre en avant tous les pro­fes­sion­nels et pro­fes­sion­nel­les du sec­teur pour tout le tra­vail qu’ils et elles font, qui est pri­mor­dial pour nos démo­cra­ties. Alors que notre société connaît actuel­le­ment des mou­ve­ments de méfiance (théo­rie du com­plot, fake­news, etc.), il faut rap­pe­ler que les archi­ves peu­vent être une solu­tion. Toute démo­cra­tie doit pou­voir retour­ner en arrière pour ras­su­rer le citoyen et répon­dre aux pos­si­bles accu­sa­tions. Les archi­ves le per­met­tent si elles sont entre­te­nues, enca­drées et acces­si­bles.

Du côté de l’AAFB, nous remer­cions les trois asso­cia­tions qui nous ont fait confiance tout au long du projet et nous espé­rons que cette ini­tia­tive en entraîne bien d’autres. Du côté de l’AAF, nous sommes ravis d’avoir pu effec­tuer ce tra­vail de réflexion conjoint. Joyeuse Journée Internationale des Archives à tous les pro­fes­sion­nels de la ges­tion et pré­ser­va­tion de l’infor­ma­tion !

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