Les RASAD 2008 sont ouvertes par Martial GABILLARD, conseiller général, chargé du patrimoine, qui insiste sur les dimensions exceptionnelles du bâtiment des Archives d’Ille-et-Vilaine, sur l’attitude prospective des archivistes départementaux, dans le contexte actuel d’évolution du réseau industriel ou associatif, par rapport à la conservation du patrimoine privé. Les archives ont une vocation à accueillir un public très large et à rendre visible le lien entre le patrimoine écrit et la vie culturelle d’un département, autour de la personne de l’archiviste départemental « conseiller et même créateur de la recherche » (André Chamson).
Représentant Martine de BOISDEFFRE, directrice des Archives de France, Geneviève ETIENNE, inspectrice générale, souligne le caractère fondamental du thème retenu pour les RASAD 2008 et les innovations connues depuis le congrès d’Annecy organisé en 2003 sur les bâtiments d’archives, en raison d’une fréquence de constructions nouvelles supérieure à toutes les époques précédentes (années 1950, années 1980). S’appuyant sur les derniers bâtiments conçus, elle évoque les points d’actualité : développement des espaces culturels, évolution des salles de lecture vers les nouvelles technologies, solutions techniques liées au développement durable, archivage de nouveaux supports (électronique), bâtiments d’archives intermédiaires, conservation préventive.
Ouvrant la 7e session des RASAD, Brigitte PIPON, présidente de la section Archives départementales (AAF), salue le nombre de participants (150), toujours plus nombreux à participer à ce « tour de France » des services d’archives. Après avoir rappelé les thèmes retenus depuis 2002 : externalisation (Bourges, 2002), circulaire de 2001 (Alençon, 2003), évaluation et sélection (Carcassonne, 2004), transferts et dévolutions (Beauvais, 2005), archivage électronique (Dijon, 2006), archives et internet (Marseille, 2007), elle présente le déroulement des trois sessions prévues à Rennes autour de la conservation préventive (contenants, contenus, prévention des risques). Le Manuel de climatologie de la DAF en cours, les groupes de travail sur des thématiques associées, les formations et séminaires de la DAF, de l’AAF ou de l’INP, les initiatives des services en direction des lecteurs et des agents, les audits microbiologiques et environnementaux réalisés, la création de chargés de conservation préventive dans les services, toutes ces dimensions concourent à montrer la prégnance nouvelle et l’intérêt exprimé pour ce champ d’activités.
Les bâtiments
Jeudi 31 janvier après-midi
France SAÏE-BELAÏSCH (DAF) propose un panorama des bâtiments d’archives français les plus récents, en insistant d’abord sur les tendances actuelles : réhabilitation d’édifices industriels, militaires, religieux scolaires ; inscription dans le développement durable (bâtiments passifs, bâtiments à énergie positive), sur les traces du Landesarchiv de Schleswigholstein (1991). Les chantiers actuels privilégient la compacité des magasins d’archives, la réduction ou la suppression totale de la climatisation, notamment au nord de la Loire, l’installation de capteurs solaires thermiques et de cellules photovoltaïques, les terrasses végétalisées. Elle présente ensuite les choix d’aménagement intérieur, tant dans les espaces publics (salles d’exposition, principe des « boîtes dans la boîte », traitement des surfaces en verrières) que dans les magasins de conservation : amélioration de la circulation de l’air par des rayonnages à montants ajourés ou par suppression de la tablette supérieure, adaptation de la résistance des tablettes selon les catégories d’archives (archives anciennes et modernes, plus pesantes que les archives contemporaines), limitation de l’éclairage naturel aux baies pompiers et à l’orientation des magasiniers.
Intervenant sur les caractéristiques innovantes du bâtiment des Archives nationales en projet à Pierrefitte-sur-Seine, Isabelle NEUSCHWANDER (directrice du SCN-AN) insiste sur les dimensions exceptionnelles de cet immeuble de grande hauteur (IGH), de 16 000 m² d’emprise au sol, prévu pour accueillir 4 à 6 kml de versements par an, 300 lecteurs jour, 16 salles de tri, un auditorium de 800 m² et un service pédagogique de 500 m². L’activité humaine sera quasi exclusivement concentrée dans les bâtiments satellites de l’IGH. Sur le plan de la prévention des risques et de la gestion des sinistres, un service de sécurité et de protection incendie sera hébergé en permanence sur le site. L’extinction du feu par brouillard d’eau haute pression (100 bar) a été privilégiée, exigeant 10 fois moins d’eau que le sprincklage. Des normes coupe-feu très lourdes exigent un système d’ouverture électronique des portes. Du point de vue de l’inertie thermique dans les magasins de conservation, non climatisés, une grande compacité a été retenue ; un complexe isolant béton entoure le bloc de salles de 200 m², où l’accès sera réduit. L’air extérieur sera traité et stocké, en prévision de périodes de canicule. Les salles seront équipées d’un système de chasse d’air et de contrôle de l’humidité. Pour pallier l’absence de climatisation, les normes environnementales seront assouplies (température : 16 à 24 °C ; hygrométrie : 57 %). Le projet s’apparente étroitement, dans les choix mis en œuvre, au bâtiment des Archives fédérales de Berlin. La problématique du temps de séchage de bâtiments de tel volume est abordée : même s’il sera amélioré par des dispositifs de chauffage temporaire, 3 à 5 ans sont prévus à Pierrefitte pour atteindre un point d’équilibre climatique. Enfin, le projet de Pierrefitte est abordé dans sa dimension structurelle, puisqu’il porte en lui la rénovation de l’institution des Archives nationales (réorganisation institutionnelle, dynamisme scientifique, lisibilité des Archives nationales françaises).
Nadine ROUAYROUX (DAD Réunion) a mis en avant l’expérience des Archives départementales de la Réunion en matière de gestion de sinistre, dans le contexte de la livraison d’un bâtiment construit ex nihilo. En 6 ans, le service a connu deux invasions de termites et une infestation fongique à grande échelle. Rappelant les contraintes environnementales de l’île, la conduite chaotique du chantier du bâtiment et la chronologie du sinistre, du constat de l’infestation en janvier 2003 à la réouverture du bâtiment en juin 2005, elle a pointé les principaux dysfonctionnements constatés dès réception du bâtiment fin 2001 : gestion informatisée de la climatisation (GTC) d’abord non programmée, puis partielle (9 magasins contrôlés sur 12), suppression du groupe électrogène initialement prévu, absence d’isolation spécifique entre deux locaux diversement climatisés, pas de temps de séchage du béton, absence de tests de climatisation, remplacement du béton par du placoplâtre dans les circulations, fuites régulières des armoires autonomes de climatisation des magasins, implantation des rayonnages le long des murs. Un point de condensation sur les bouches d’aération d’un atelier est à l’origine d’une infestation fongique, que la climatisation centralisée a contribué à généraliser. De ces constats, N. Rouayroux tire plusieurs enseignements : conserver la mémoire des choix techniques opérés en cours de chantier, mener des tests de climatisation avant installation, lister tous les dysfonctionnements durant les deux ou trois ans suivant la réception du bâtiment neuf, disposer d’outils d’évaluation, savoir identifier la cause du développement fongique (infiltration, condensation), réagir dès détection d’incidents de climatisation, mener un plan de conservation préventive, cartographier les points de sinistre. La confusion des rôles, entre le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et l’utilisateur, aboutit à une mauvaise gestion de bâtiment.
Dans le cadre du projet du nouveau bâtiment des Archives départementales du Bas-Rhin, Pascale VERDIER (DAD Bas-Rhin) fait le point sur les réflexions conduites autour des conditions environnementales des futurs magasins, climatisés et isolés par un revêtement intérieur de briques. La modification du type de briques en cours de chantier, le changement de l’environnement des collections lié au déménagement, le risque appréhendé de développements fongiques dans des magasins neufs et climatisés ont amené à recourir à une étude climatique spécifique, confiée à une société privée (In Extenso), comportant trois points : diagnostic du comportement des collections (sur la base de prélèvements), ajustement climatique à court et moyen terme, préconisations en matière de restauration des documents. L’échantillon des 170 prélèvements a été fixé par la société retenue, qui s’est rapidement rapprochée du bureau d’études chargé de la climatisation, aboutissant à plusieurs actions : neutralisation des parois de brique par du placoplâtre, installation d’un système de soufflage pour éviter le confinement derrière la paroi de briques. In Extenso joue le rôle d’interface entre la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre et le futur utilisateur. Face à la complexité de documents techniques, que l’archiviste est en peine de comprendre et de maîtriser, le recours à des spécialistes en conservation préventive est une garantie fondamentale pour la réussite du projet. Des réserves climatiques seront posées lors de la réception du chantier.
Responsable de la société In Extenso, Pierre DIAZ-PEDREGAL présente à la suite le point de vue du consultant, qui doit faciliter les échanges entre utilisateur, maître d’ouvrage et ingénieur, prévenir les dysfonctionnements par un questionnement permanent et adapté et intervenir au moment opportun du déroulement du chantier. La mission d’étude climatique doit commencer le plus tôt possible (dès la définition du programme), se prolonger le plus tard possible (à la fin de l’année du parfait achèvement) et être associée à toutes les étapes du projet de construction (études préalables, programme, sélection des équipes, études pour les avant-projets, réalisation). La mission peut être intégrée à la maîtrise d’œuvre, constituer une mission indépendante ou prendre la forme d’une assistance à la maîtrise d’ouvrage, où le consultant devient l’avocat spécialisé à la fois de la collectivité et du maître d’ouvrage. Le coût de la mission varie en fonction de son étendue et du degré de spécialisation et d’expertise sollicité. Elle doit être mise en regard du bénéfice attendu : meilleure communication entre les différents intervenants, optimisation des temps d’étude et d’analyse des projets, réduction du coût des projets par l’élimination des « essais-erreurs ». L’investissement intellectuel reste toujours moins coûteux que la réparation matérielle.
Les documents
Vendredi 1er février matin
La matinée s’ouvre sur deux exposés théoriques, par Hélène de TOURDONNET (AD Oise) sur la particularité de son poste de chargée de conservation préventive au sein d’un service d’archives, et par Michel MARECHAL (DAD Ille-et-Vilaine) et ses collaborateurs sur l’atelier de restauration des Archives d’Ille-et-Vilaine. H. de Tourdonnet met en valeur son double rôle d’expert (prescription d’outils de mesure et de contrôle, conception de chariots, application des normes en vigueur concernant les matériaux adaptés à la conservation, évaluation des restaurations externalisées, conseil aux services publics) et de coordonnateur (formation des agents, réflexion sur la chaîne de traitement des fonds, programmation de la restauration et des reconditionnements, encadrement de collaborateurs) au sein du service, avant de présenter le contexte d’utilisation des principaux matériaux liés à la conservation préventive : papier permanent, carton celloderm, film polyester, prolypropylène.
L’équipe rennaise présente sa politique de reconditionnement systématique en vue de l’homogénéité des fonds et de leur déménagement, l’état de sa réflexion sur la surveillance climatique et l’estampillage ; outil expérimental, utilisé par les magasiniers et les agents chargés du classement, la base ESA « Etat sanitaire des archives » développée en interne par Denis CHAMBET en 2004-2006 veut faciliter, sur la base d’un diagnostic sanitaire, la programmation en conservation-restauration et conserver un historique des interventions . En conservation préventive, l’actualité des AD d’Ille-et-Vilaine est la diffusion du plan d’urgence (fiches techniques, désignation des référents), l’intégration de la base ESA dans le logiciel Thot et le suivi climatique du bâtiment neuf.
Autour du stockage ou du conditionnement de documents iconographiques de grand format, des maquettes et des supports électroniques, Elisabeth GAUTIER-DESVAUX (DAD Yvelines) ouvre une série d’interventions en forme de retours d’expérience. Elle présente notamment la solution de stockage vertical sur grilles mobiles double face installées dans le nouveau bâtiment de Saint-Quentin. Le stockage des 240 maquettes d’urbanisme et de grands travaux a fait l’objet d’un diagnostic préalable confié à une équipe pluridisciplinaire (fiches de constat d’état, préconisations, niveau d’urgence), afin de répondre au mieux au quadruple problème de la conservation, de la gestion de l’espace, du coût et des contraintes de consultation, et d’établir un programme de restauration et de numérisation. Quant aux supports électroniques, l’expérience de la perte de 5 000 CD-R a conduit à reprendre le mode de stockage des données issues de la numérisation de masse et des archives électroniques versées : double stockage sur deux serveurs distants, sauvegardes quotidienne et mensuelle. Plusieurs conclusions sont tirées de ces opérations : sérier les priorités selon l’opportunité de la conservation, intégrer le programme de restauration dans une logique de communication, recourir aux produits du marché, faire bénéficier les fonds de partenariats scientifiques et techniques.
Marie-Claude DELMAS (AN) présente les actions menées par le Département de la conservation matérielle autour des fonds du Centre historique, en vue notamment de leur déménagement partiel à Pierrefitte : amélioration des conditions environnementales, hygiène des locaux, veille technologique, récolement exhaustif à l’aide d’une application informatique dédiée, publication des Echos du récolement, évaluation sanitaire par prélèvements et étude d’acclimatation en cours, discipline des protocoles. La programmation du chantier des fonds est à l’ordre du jour (restauration, reconditionnement, microfilmage, numérisation). Elle souligne l’émulation due à la logique de projet et la cohésion apportée par des chantiers de ce type.
Aux yeux de Jérôme BLACHON (AD Val-d’Oise), les archivistes soucieux de diffuser les principes de la conservation préventive se muent en « passeurs schizophrènes », qui ont développé en quelques années toute une pléiade d’outils destinés tant aux lecteurs qu’à leurs collaborateurs : fiches de procédure internes, sessions de formation interne appuyées sur des livrets didactiques, plaquettes de communication externes, affiches en salle de lecture, marque-pages, sous-mains, explications dans le guide du lecteur, le règlement de la salle de lecture ou sur le site internet. Le vocabulaire employé joue sur la collaboration lecteur/archiviste pour une meilleure conservation, le registre de l’humour, la fermeté. Les matériels mis à disposition doivent s’adapter aux exigences de l’institution. Il reste que l’amélioration des conditionnements et l’exemplarité du personnel demeurent sans doute les incitations les plus efficaces à respecter les documents eux-mêmes.
Plans de prévention des risques, plans d’intervention, plans d’urgence
Vendredi 1er février après-midi
Dans le cadre d’un manuel en cours de finalisation, Marie-Dominique PARCHAS (DAF) pose la question de la formation à la gestion des sinistres. Quels blocages peuvent expliquer le peu de plans de sauvegarde ou de sauvetage existant ? Sans cacher la tendance assez répandue à atténuer les risques, elle évoque le vocabulaire utilisé (« conservation prédictive »), les principaux lieux d’informations sur les plans de sauvetage, les organismes de formation et les principaux réflexes professionnels à avoir (formation du personnel, évaluation et acquisition du matériel nécessaire à l’intervention, partenariat avec les pompiers, les voisins, les associations, mutualisation des moyens). Elle revient sur deux problématiques importantes, celles du choix et du marquage des collections à sauver en priorité.
Jean-Pascal FOUCHER et Catherine COTTIN (AD Orne) rendent compte du plan d’intervention d’urgence conçu dans le cadre du nouveau bâtiment des AD de l’Orne, récemment mis à l’épreuve d’une inondation brutale. Le plan d’urgence, qu’une politique globale de conservation préventive peut favoriser, est moins une question de budget qu’une affaire de temps et de motivation. Les différents manuels et outils existants sont évoqués, ainsi que les stages de formation suivis et les collaborations créées au plan local (pompiers, directions techniques du Conseil général, service de la sécurité civile de la préfecture). De l’analyse des risques à la gestion des conséquences, les différentes étapes ont été définies et décrites, matérialisées en fiches action et fiches réflexe. Le document de synthèse doit être court (pas plus de 20 pages) et les missions, restreintes à 4 ou 5 par personne. Le problème de l’équipement d’intervention et du mode de communication vis-à-vis du public et de l’administration est à régler en amont.
Autre exemple de plans d’évacuation et d’urgence, ceux élaborés en Seine-et-Marne pour les Archives départementales et pour un musée départemental. Après la présentation du contexte général par Isabelle RAMBAUD (DAD Seine-et-Marne) (taux d’intervention des centres du SDIS, mise en œuvre du Document unique de prévention des risques au sein de la collectivité et désignation de référents hygiène et sécurité), Cécile FABRIS évoque les conditions d’élaboration du plan d’urgence des AD : inscription au projet de service, recours aux manuels et aux stages, partenariat avec les institutions culturelles, la préfecture, le SDIS, les prestataires (assurances, entreprises locales). Le plan fait l’objet d’un suivi permanent et d’un contrôle des réflexes par des tests pratiques. Dans le cas du musée départemental, le plan d’action comporte la surveillance du bâtiment, la prévention des risques (astreintes, alarmes, vigilance), la localisation des œuvres (récolement), l’intervention contre l’incendie à associer à l’évacuation des personnes et des œuvres, la disponibilité des conditionnements et des matériels. La culture du risque exige pragmatisme et volontarisme, autant que patience et vigilance.
Auteur d’une enquête sur la prévention des risques parue dans la Gazette des communes (9 juillet 2007), Hélène GIRARD, journaliste, fait le bilan des témoignages collectés, insistant sur le caractère variable de la terminologie et sur le fondement que constitue une bonne connaissance de son bâtiment. Elle note que le plan d’urgence est souvent conçu et diffusé avant le plan de prévention. Le travail coopératif à l’échelle d’un territoire, associant bibliothèques, musées et services d’archives, apparaît à beaucoup comme d’un meilleur impact vis-à-vis des services techniques. Travailler sur un plan d’urgence revient finalement à des considérations au cœur du métier de la conservation.
En conclusion, Christine MARTINEZ, présidente de l’AAF, souligne l’expertise française, au regard d’une grande partie du monde, en matière de conservation préventive. Elle insiste sur l’intérêt des différentes interventions qui peuvent se rapporter à une interrogation plus fondamentale : quand doit-on recourir à l’assistance à la maîtrise d’ouvrage ? La conservation préventive amène à constituer des équipes pluridisciplinaires et plurielles, à définir de nouveaux profils et à s’appuyer sur la mutualisation et la solidarité professionnelle.
Au nom des organisateurs de la section AD de l’AAF, des intervenants et des auditeurs, elle exprime la reconnaissance de l’association pour l’accueil exceptionnel réservé, par la direction et l’ensemble du personnel des AD d’Ille-et-Vilaine, à l’édition 2008 des RASAD.
Isabelle CHAVE (DAD Vosges)
Bureau de la section AD de l’AAF