1. Comment avez-vous voulu devenir archiviste ?
J’ai eu le goût de l’Histoire dès mon plus jeune âge. J’ai fait des études littéraires, puis après deux ans de classe préparatoire, je suis entrée à l’Ecole nationale des Chartes. J’hésitais alors entre le monde des bibliothèques et celui des archives, mais c’est au cours de ma scolarité, lors d’un stage aux Archives départementales du Calvados, que j’ai vraiment vu ce qu’était le métier d’archiviste. L’équipe était très sympathique, motivée et m’a donné l’image d’un métier d’une grande diversité, d’un métier d’action. Il y a une dimension de « découvreur » dans le métier d’archiviste, qui m’a beaucoup plu.
2. Quel a été votre parcours professionnel ?
Après mes quatre ans à l’Ecole des Chartes, j’ai tout de suite commencé sur le terrain, comme directrice des Archives municipales de Nantes. J’ai suivi un projet de déménagement, j’ai lancé un programme de collecte des archives (il y avait 130 ans de dossiers municipaux à archiver) et d’instruments de recherche, une politique d’action culturelle... Il y avait beaucoup à faire à l’échelle d’une ville, et puis, dans le contexte des débuts de la décentralisation, cela impliquait de nouvelles relations avec les élus locaux... C’était très formateur.
Je suis restée 9 ans dans ce service, puis j’ai eu un deuxième poste, très différent, à la Direction des archives de France. J’étais conservateur au service technique, service qui était chargé d’effectuer des missions de contrôle scientifique et technique auprès des archives territoriales, pour le compte de l’Etat. C’était très différent des neuf ans de pratique que j’avais eu auparavant, la mission étant davantage tournée vers la théorie archivistique, la réglementation...
Dans ce cadre, j’ai été amenée à réfléchir sur les instruments de recherche (outils décrivant un ensemble de documents d’archives, pour les faire connaître aux lecteurs), et j’ai participé à la rédaction de plusieurs ouvrages. J’ai également été chargée de travailler au sein d’un groupe du Conseil International des archives sur les normes de description archivistique. Nous avions à produire une norme internationale, en anglais, véritable défi pour moi. J’avais donc des missions à l’étranger, qui m’ont offert une ouverture au monde que je ne soupçonnais pas ; ce fut un enrichissement intellectuel important. Cela fait partie des surprises de ce métier, je n’avais pas imaginé, en commençant ma carrière, avoir des missions de ce type.
Par ailleurs, on m’a également demandé de faire des formations, au sein de la Direction des archives de France, à l’Ecole du Patrimoine (aujourd’hui Institut National du Patrimoine), puis à l’Ecole des Chartes, où je suis maintenant professeur associé.
Par la suite, on m’a confié la responsabilité du CARAN (Centre d’accueil et de recherche des Archives Nationales), avec un rôle de management important, puisque c’était un service de cent personnes, accueillant trois cent lecteurs par jour.
Je suis ensuite retournée à la Direction des archives de France, où je me suis occupée des relations internationales : je devais coordonner des projets de coopération. J’y suis restée dix-huit mois seulement car je voulais retourner sur le « terrain ».
En 1999, on m’a proposé de reprendre la section des archives privées (archives de personnes, de familles, de partis politiques, d’associations et de presse, d’intérêt national) du Centre Historique des Archives Nationales (CHAN), section qui était menacée de disparition. Nous avons reconstitué le service et monté une équipe de huit personnes. Ici je retrouve presque toute la chaîne archivistique, avec la collecte des documents, leur traitement, leur communication au public.
3. Pouvez-vous nous décrire votre travail au quotidien ?
Les fonds de la section des archives privées vont du Moyen-Age à nos jours, et, bien qu’étant privés, ils doivent avoir un intérêt national. Mes missions sont les suivantes : je dois tout d’abord prospecter pour collecter des fonds, je suis ainsi en relation avec des propriétaires d’archives. Je dois négocier des contrats avec eux, pour déterminer les modalités suivant lesquelles ils nous confient leurs archives. Il y a également tout un travail juridique, pour le suivi de ces contrats, notamment quand les fonds passent aux héritiers des personnes qui les ont déposés.
Je suis aussi chargée d’enrichir les collections du CHAN par achat. Il faut que je repère les documents intéressants dans les catalogues des ventes qui ont lieu en France et à l’étranger. Lorsque je pense qu’un document doit être acheté par la Direction des archives de France, je dois fournir un rapport pour justifier cet achat.
Et bien sûr, je dois encadrer une équipe, autour de ses missions de classement, d’inventaire, de réponse aux demandes des chercheurs... Nous sommes également très impliqués dans des projets scientifiques en collaboration avec l’université, le CNRS...
La section des archives privées conserve de nombreux fonds remarquables. Les archives de la maison de France, tout d’abord, fonds de près d’un kilomètre, le plus gros de la section. Il s’agit des archives de la famille d’Orléans, de Louis-Philippe jusqu’au Comte de Paris. Nous avons également les archives de la famille Napoléon. Ces deux fonds sont « mixtes », ils ont à la fois un caractère public (ils comprennent des archives de gouvernants), et un caractère privé, puisqu’il s’agit d’archives familiales. Nous recherchons en priorité les archives politiques. Nous avons également des archives d’historiens, c’est ainsi que récemment nous ont été données les archives de l’historienne Madeleine Rebérioux, spécialiste de Jean Jaurès.
4. Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?
Ce qui me plaît, c’est la grande diversité de ce métier, et l’ouverture à de nombreux sujets. On apprend tous les jours, c’est impressionnant : les archives elles-mêmes sont tellement complexes, pour les comprendre, il faut toujours apprendre. Le défi intellectuel est permanent et stimulant ce qui me ravit car je n’aurais pas aimé avoir un métier routinier !
5. Quels sont pour vous les principaux enjeux pour la profession d’archiviste à l’avenir ?
Je vous parle en tant que membre d’une des « branches » du métier d’archiviste. Conservateur du patrimoine, notre mission est de collecter ce qui va constituer des archives définitives. Or nous sommes à un « tournant de civilisation » : la culture de l’écrit se perd, et pourtant il va falloir continuer à conserver les archives historiques, mais surtout veiller à ce qu’elles restent compréhensibles dans le futur. Les archives électroniques sont importantes, mais il ne faut pas oublier les archives traditionnelles, que de moins en moins de gens seront en mesure de comprendre. En tant que conservateurs du patrimoine, nous nous devons de passer le témoin aux générations futures. Il faut à la fois gérer le quotidien, mais aussi se projeter dans l’avenir.
C’est un gros défi pour un pays comme la France, qui conserve des centaines de kilomètres d’archives historiques : il faut que l’on continue à pouvoir les exploiter.
6. Quelle est selon vous la place de l’archiviste au sein d’une organisation ? d’un pays ?
Le rôle patrimonial des conservateurs est crucial, car nous sommes « gardiens de l’héritage national », à travers les siècles. L’archiviste a un rôle de passeur : sa mission n’est pas statique, il y a tout un aspect « veille » et « prospection ». Nous devons en effet être capables d’enrichir ce patrimoine, à partir de tout ce qui se produit actuellement. Il faut se battre tous les jours pour le préserver, avec des moyens qui ne sont pas toujours à la hauteur des besoins. Mais je reste optimiste, et la construction du nouveau centre des Archives de Pierrefitte-sur- Seine pour les Archives nationales constitue véritablement un espoir.