La mise en cause directe des conservateurs du patrimoine exerçant au sein du Service historique de la Défense, impose de rappeler certains éléments. Il ne s’agit en aucun cas de répondre ici aux allégations formulées ici et là, qui amèneraient à la publication d’informations relatives au fonctionnement du SHD et, par là même, à un non-respect du devoir de réserve de tout agent de l’État.
En premier lieu, les deux corps de conservateurs et conservateurs généraux du patrimoine sont des corps interministériels, gérés par le ministère de la culture et de la communication, dont les membres sont soit affectés dans l’un ou l’autre des trois ministères gestionnaires d’emploi – culture, défense, affaires étrangères – soit mis à disposition des conseils généraux des départements – soit détachés sur des emplois extérieurs. L’affectation – car c’est bien la position administrative qui est la nôtre au ministère de la Défense – intervient après avis favorable de la commission administrative paritaire de notre corps. Quelle qu’elle soit, elle résulte d’un choix positif et n’a pas pour objectif de nuire à l’institution d’accueil.
Notre formation initiale est une formation historique et scientifique, longue et exigeante (la majeure partie des conservateurs est issue de l’École nationale des chartes ou a suivi des cursus de même niveau), qui rend inconvenante l’idée que la compréhension des questions de Défense ne serait accessible qu’au monde militaire. Elle est complétée par une formation administrative de 18 mois en école d’application (l’Institut national du patrimoine). Comme dans tout corps de l’administration, une obligation de mobilité est aujourd’hui requise pour évoluer dans la carrière. Cette mobilité constitue une richesse pour les institutions que nous servons, apportant à chacune, outre des compétences professionnelles très spécialisées, une expérience sur laquelle capitaliser, dès lors que l’on admet que les apports de l’extérieur sont de fait source de richesse et non de destruction potentielle.
Nul n’est censé ignorer la loi, pas plus les conservateurs que les militaires, puisque c’est entre ces deux catégories de personnels que les débats en cours semblent vouloir dresser une frontière que nous récusons absolument. En tant que conservateurs, nous nous devons d’appliquer et de veiller au bon respect du code du patrimoine, mais aussi de tous les textes régissant les modalités de gestion et d’accès aux archives et aux documents. En cas de difficulté, la direction des affaires juridiques de notre institution d’exercice est là pour nous aider : elle intervient en tant que spécialiste du droit (administratif, civil, pénal, commercial, etc. selon le cas), et qui le lui conteste ? Nous intervenons en tant que spécialistes de l’archivage et avons à cœur de respecter la déontologie, l’éthique et les règles de notre métier au SHD, comme nous avons pu ou nous pourrons le faire dans une autre affectation. Nous demandons à pouvoir y exercer nos compétences sereinement et à ce que celles-ci soient reconnues et respectées.
La loi impose aux institutions et organismes publics de s’occuper de leurs archives. Si cette mission devait échapper au Service historique de la Défense, à qui elle est réglementairement et légalement confiée, à qui incomberait-t-elle ? A l’heure de coupes budgétaires importantes, le ministère de la Défense est-il encore si riche qu’il puisse se doter de deux institutions pour la gestion et l’exploitation ses archives ? L’Histoire est une science humaine qui utilise un corpus documentaire, sur le fondement de problématiques scientifiques, et conduisant à des productions telles que publications, expositions, films, etc. Le corpus se construit au jour le jour, parce que les conservateurs et les personnels scientifiques, administratifs et militaires de tous statuts et de tous grades, qui coopèrent ensemble loyalement sur le terrain, œuvrent à le rassembler, à l’identifier, à le décrire. Le premier usage qui en est fait est administratif, au service prioritaire des milliers de personnels militaires de la Défense qui chaque année se voient délivrer par le Service historique de la Défense les preuves et les attestations qui garantissent la défense de leurs droits et la reconstitution de leurs carrières.
Plus largement, ces sources doivent être mises à la disposition de tous les publics, militaires et civils, professionnels de la recherche, chercheurs amateurs ou simples citoyens, dans le respect des dispositions fixées par la loi. C’est le fondement de la démocratie que de garantir l’accès de tous à l’information. Le renfermement sur « son » patrimoine, la volonté d’une histoire à usage strictement interne, faite par les militaires au profit de la seule institution, conduirait ni plus ni moins à une confiscation de fonds d’archives dont la richesse exceptionnelle est vantée par tous. Faut-il rappeler que l’article 12 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 précise que leur garantie « nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée » ?
Nous ne souhaitons pas prendre le pouvoir. Nous ne demandons nullement que le poste de chef de service ne soit plus confié à un militaire. Nous souhaitons seulement faire notre métier en respectant les règles de droit applicables aux archives, au bénéfice de la société dans toutes ses composantes, civile et militaire.