L’appel
Pas d’instrumentalisation de l’histoire, pas de mépris des professionnels !
Le projet de Maison de l’histoire de France est inquiétant sur trois points centraux, méritant d’être clarifiés et qui montrent combien ce dossier a été mené sans connaissance véritable du terrain et sans concertation.
– Sur le concept historique : allons-nous refaire le Musée à toutes les gloires de la France de Louis-Philippe au château de Versailles assorti de nouvelles technologies ? Cela n’est ni l’état de la science historique aujourd’hui, ni le reflet de ce qu’est notre pays dont le territoire excède le continent européen et à l’histoire coloniale forte, ni la nécessité de repères pour nos classes scolaires. Il faut clarifier en affirmant la nécessité de prendre des histoires-territoires dans la longue durée (de la préhistoire à nos jours), toujours ouvertes (du local au mondial, en passant bien sûr par la dimension nationale et continentale), et se souciant de compréhensions multiples (dans le désordre et sans aucune exhaustivité : histoire des conflits, histoire des échanges, histoire économique, histoire des femmes, histoire des images, histoire sociale, histoire culturelle, histoire dynastique…).. Une maison d’histoire se conçoit enfin vers des publics très variés, ce qui induit des niveaux divers de discours et de scénographies : elle pense un travail spectaculaire et populaire pour attirer les familles (tout en étant scientifiquement indiscutable), mais aussi des préparations en amont avec tout le réseau pédagogique. Elle parle aux touristes et produit, via Internet, pour au-delà de nos frontières.
– Sur la participation des scientifiques : pourquoi ce lieu serait-il seulement la maison de quelques spécialistes renommés, excluant d’autres tout aussi respectables ? Une Maison d’histoire doit être ouverte et réactive. Elle doit abriter de plein droit toutes les institutions produisant de la recherche historique. Elle doit permettre de constituer autant de conseils scientifiques ad hoc que d’opérations, associant des personnalités mais aussi offrant des débouchés pour les jeunes chercheurs. Elle doit pouvoir s’ouvrir à toutes les disciplines qui servent au travail historique, de l’économie à l’héraldique, de l’histoire de l’art à l’ethnologie… Elle doit aider aux échanges et à la production nationale et internationale.
– Sur le pilotage scientifique et culturel : quelle raison y a-t-il pour une mise à l’écart des scientifiques du patrimoine, de tous les patrimoines ? Voilà un aspect très choquant passé sous silence. Outre le peu de concertation avec les archivistes (ou d’ailleurs les bibliothécaires), les conservateurs de musées ont été tenus en dehors de ce travail. Il faut pourtant des spécialistes de patrimoines variés pour faire vivre une Maison d’histoire. Dès le premier congrès en 1992 de l’Association internationale des musées d’histoire, l’aspect totalement polymorphe des collections dans ce type d’institution fut d’ailleurs souligné. Et puis, sans conservatisme ou corporatisme mais avec logique, pourquoi les conservateurs —dont c’est le métier et qui ont longuement réfléchi à ces problématiques— seraient incapables de mener un tel travail ? Le Deutsches Historisches Museum de Berlin, cité en exemple, a été conçu dans l’indépendance par deux anciens directeurs du Musée de la ville de Munich. Le MOMA à New York ou le Victoria & Albert à Londres sont dirigés par des professionnels de musées. La France aurait-elle les pires professionnels au monde ? Ils se connaissent pourtant de longue date, ce qui facilite les échanges nécessaires. Ils ont établi des réseaux avec toutes les institutions en France et à l’étranger. Ils ont fait leurs preuves sur des opérations concrètes. Ils sont des garants d’indépendance.
Si un jour une institution comme la Maison d’histoire doit voir le jour dans le contexte budgétaire difficile actuel, nous demandons des clarifications publiques nettes sur ces 3 points fondamentaux.
Les soutiens sont à envoyer à Laurent Gervereau : gervereaul@gmail.com
(Laurent Gervereau est Président du Réseau des musées de l’Europe. Il a créé l’Association internationale des musées d’histoire, bâti de nombreux congrès internationaux, fondé et présidé le Conseil des musées d’histoire en France et co-dirigé notamment le Guide des musées et collections d’histoire en France. Il est membre de très nombreux conseils scientifiques de musées en France et à l’étranger)
Liste des premiers soutiens
(les listes de cet Appel récent sont données dans l’ordre d’arrivée des soutiens et s’augmentent chaque jour ; beaucoup ont aussi exprimé leur adhésion chaleureuse, sans vouloir que leur nom apparaisse, par obligation de réserve ; nous n’avons pas mis les titres des signataires mais il s’agit généralement des directeurs ou présidents d’institutions, conservateurs, professeurs d’université…)
Organisations :
Ligue de l’Enseignement ; Association générale des conservateurs ; Association des professeurs d’histoire-géographie ; Centre Européen de la Culture (Genève) ; OCIM (Office de Coopération et d’Information Muséographiques) ; ESCOM ET AAR (Fondation Maison des Sciences de l’Homme) ; Association des archivistes français ; Fédération des écomusées et musées de société…
Professionnels (les 50 premiers signataires) :
Elikia M’Bokolo (Ecole des hautes études en sciences sociales-EHESS) ; Jean-Yves de Lépinay (Forum des Images) ; Christian Zeimert (artiste) ; Marie-Louise von Plessen (commissaire d’expositions internationales, membre de l’équipe fondatrice du Deutsches Historisches Museum à Berlin, épouse de Pontus Hulten) ; Eric Favey (Ligue de l’Enseignement) ; Fabienne Xavière Sturm (directrice de musée, La Chaux-de-Fond) ; Jacques Portes (Association des professeurs d’histoire-géographie) ; Christophe Vital (Association générale des conservateurs) ; Elsa Maillot (artiste) ; Roger Mayou (Musée international de la Croix Rouge à Genève et ancien Président du Conseil de l’Université de Genève) ; Christian Amalvi (Université de Montpellier) ; Alain Ruscio (Université de Montpellier) ; Jean Vigreux (Université de Besançon) ; Véronique Fau-Vincenti (Musée d’histoire vivante, Montreuil) ; Michèle Riot-Sarcey (Université de Paris VIII) ; Michel Breton (muséographe) ; Christine Menzaghi (Ligue de l’Enseignement) ; Sylviane Dupuis (Université de Genève) ; Thierry Sarfis (graphiste et enseignant) ; Claire Sécail (CNRS) ; Vincent Chenille (Bibliothèque nationale de France) ; Gérard Monnier (Université Paris I) ; Muriel Chemouny (Fondation Maison des Sciences de l’Homme) ; Geneviève Fraisse (philosophe, CNRS) ; Charles Méla (Fondation Bodmer) ; Julie Guiyot-Corteville (Musée d’histoire de la ville de Saint-Quentin) ; Gérard Paris-Clavel (graphiste) ; François Hubert (Musée d’Aquitaine, Bordeaux) ; Jean-Paul Le Maguet (Musée de Bretagne, Rennes) ; Guy Schockaert (Président d’ICOGRADA, graphiste et artiste belge) ; Louis-Jean Gachet (Office de Coopération et d’Information Muséographiques-OCIM) ; Elisabeth de Pablo (Fondation Maison des Sciences de l’Homme) ; Aurélie Utzeri (Musée du Vivant, musée international sur l’écologie) ; Michelle Perrot (Université Paris VII) ; Jean-Paul Ameline (Musée national d’art moderne-Centre Georges Pompidou) ; Philippe Buton (Université de Reims) ; Arnaud Mercier (Université de Metz) ; Jean-Pierre Bertin-Maghit (Université Paris III) ; Laure Barbizet-Namer (directrice de médiathèque) ; Jacques Girault (Université Paris XIII) ; Francis Jolly (Maison du Geste et de l’Image, Paris) ; Barbara de la Motte Saint Pierre (artiste) ; Nancy Berthier (Université Paris IV) ; Christophe Barbotin (Musée du Louvre) ; Christian Delporte (Université Versailles-Saint Quentin, Centre d’histoire culturelle) ; Elisabeth Pénisson (Musée gallo-romain, Périgueux) ; Gérard Sabatier (Université de Grenoble et Centre de recherches du château de Versailles) ; Philippe Kaenel (Université de Lausanne) ; Xavier de la Selle (Archives de Villeurbanne, Association des archivistes français), Jean-Louis Cohen (New York University)…