Les projets des Archives de l’Assemblée nationale pour le centenaire de la Grande Guerre
Association des archivistes français - 27 novembre 2012
Cette intervention vise à présenter le projet de célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale, élaboré par la division des Archives de l’Assemblée nationale, dont l’astringent est une opération de numérisation des archives des commissions de la Chambre des députés entre 1910 et 1919, en vue de leur mise en ligne. Sera d’abord évoquée la genèse du projet, puis dans un second temps la mise en œuvre de la numérisation. Enfin, il sera question des autres actions de valorisation envisagées aux Archives de l’Assemblée nationale, afin de commémorer la Grande Guerre.
1. La genèse du projet
Une entreprise collaborative
Le projet des Archives de l’Assemblée nationale a été élaboré dans un contexte général de préparation des commémorations de la Première Guerre mondiale. Il s’inscrit notamment dans la lignée d’Europeana Collections 1914-1918, vaste projet de numérisation associant dix bibliothèques dans huit pays européens, comme la Staatsbibliothek zu Berlin, la Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg ou la British Library. Ce projet s’inscrit aussi dans le programme commémoratif officiel du centenaire de la Première Guerre, porté par un groupement interministériel qui associe entre autres les ministères de la Défense et de la Culture, les collectivités territoriales de l’ancienne ligne de front et certains centres ou comités d’histoire.
Dans un souci de cohérence, la démarche des Archives de l’Assemblée nationale, qui a débuté au printemps 2010, a été menée dans la lignée de celle du Sénat, qui a réalisé de son côté un travail de restauration et de numérisation des archives des commissions parlementaires de la période, en vue de leur mise en ligne. Le Sénat a également fait numériser à des fins de valorisation, les Journaux officiels des débats, les rapports et les tables analytiques des années 1914 à 1920.
La division des Archives de l’Assemblée nationale a construit ce projet avec les Archives nationales, a qui ont été versées les archives législatives antérieures à 1997. Afin de mener à bien l’opération de numérisation, il a fallu opérer un rapatriement des boîtes issues de la série C vers les locaux de l’Assemblée nationale. En contrepartie du prêt de ces documents, la division des Archives s’est engagée à rédiger un instrument de recherche conforme aux normes de description, à reconditionner les documents et à fournir aux Archives nationales les copies des vues des documents numérisés.
La définition du projet
Toujours au printemps 2010, une sélection de documents formant un ensemble cohérent et couvrant la période 1913-1919 a été effectuée par les trois archivistes de l’Assemblée nationale ainsi que par Marc Béclère, administrateur-adjoint de la division également en charge du projet. Un déplacement dans les magasins du Maris à l’automne 2010 a permis de réaliser des sondages afin de connaître l’état des documents et de vérifier la pertinence de la sélection.
À ce stade, trois cents cartons d’archives avaient été inclus dans le lot à numériser. L’importante volumétrie de ces documents, ainsi que son état matériel ont conduit l’équipe de la division des Archives à ré-estimer la charge de travail induite par le projet et à restreindre le périmètre des documents concernés. C’est ainsi qu’à l’automne 2010 le projet de numérisation a été limité aux travaux des commissions en lien direct avec le conflit, soit une cinquantaine de cartons représentant une dizaine de mètres linéaires. Décision a aussi été prise de ne pas numériser la totalité des boîtes communiquées, mais de sélectionner les documents « probants » tels que les procès-verbaux, rapports et notes des commissions. Ont notamment été numérisés les travaux des commissions de l’Armée pour la période 1910-1919, ainsi que ceux de la commission du Budget pour les années 1910 à 1914. Ainsi, la tranche chronologique des documents à valoriser (1910-1919) s’est élargie au fil du projet, notamment parce que les débats en commissions ont été très fournis pour la période antérieure au déclenchement du conflit.
Les archives de la commission des Affaires étrangères n’ont pas été incluses dans la sélection, car elles n’ont jamais été versées aux Archives nationales mais n’ont pas non plus été retrouvées à l’Assemblée nationale. La division des Archives n’a pas non plus sélectionné les travaux des commissions mixtes de l’époque, dont très peu de documents ont été conservés.
Un calendrier difficile à tenir
Dès l’automne 2010, un calendrier général du projet a été mis en place et soumis aux Archives nationales. Le transfert des cartons a été fractionné en quatre lots, de manière à limiter les restrictions de communication des documents. Les boites, une fois analysées et reconditionnées, étaient renvoyées aux Archives nationales. Par la suite, seuls les cartons contenant des documents à numériser revenaient à la division des Archives de l’Assemblée nationale afin d’être envoyés chez le prestataire de numérisation. Cette organisation imposée par les Archives nationales, n’a pas été simple à mettre en œuvre. En tout, il y a eu cinq aller-retour de documents entre les Archives nationales et l’Assemblée nationale, sans compter les déplacements des archivistes dans le Marais afin d’effectuer des recherches complémentaires.
La rédaction du répertoire numérique détaillé, le reconditionnement des archives et la description dans un fichier de récolement des vues à numériser ont débuté en janvier 2011, dès la livraison du premier lot de cartons. Les trois archivistes travaillant sur ce projet étant très pris par leurs tâches quotidiennes (qui vont de la collecte à la valorisation des archives de l’Assemblée nationale, en passant par le classement, la conservation et la communication), ont rapidement fait le constat de l’impossibilité de mener de front le projet Première Guerre mondiale, en plus de leurs missions.
En février 2011 a donc été défendue l’idée de recruter un archiviste contractuel chargé du projet de commémoration de la Première Guerre mondiale. C’est ainsi que Patrice Denis, archiviste et actuel « responsable » du projet, est arrivé au mois d’octobre 2011. A partir de cette date, le travail sur le projet ne s’est plus effectué en pointillé, mais à temps plein.
2. La numérisation des archives des commissions de la Chambre des députés (1910-1919)
La rédaction d’un instrument de recherche et le reconditionnement
La sélection des archives à numériser a été établie sur le fondement d’un instrument de recherche transmis par les Archives nationales. Ce répertoire très sommaire, établi à la suite du versement en 1965 de documents, ne respectait pas les normes archivistiques actuelles et présentait d’importantes difficultés d’exploitation. Préalablement à la numérisation des archives, l’équipe de l’Assemblée nationale a donc entamé l’élaboration d’un instrument de recherche respectueux de la norme internationale de description archivistique ISAD-G, portant sur les cinquante cartons sélectionnés.
Il a été difficile de faire totalement abstraction de l’instrument de recherche originel, notamment parce qu’il avait été convenu avec les Archives nationales d’en conserver la structure. Ainsi, le répertoire numérique détaillé élaboré peut-il encore témoigner d’une certaine complexité puisqu’il décrit des archives cotées à la boîte -dont les contenus ne sont pas toujours cohérents- et non à l’article. C’est pourquoi la division des Archives a envisagé de réaliser, dans un second temps, un répertoire méthodique afin de faciliter la lecture et l’accès à l’information. Lorsqu’il sera réalisé, ce répertoire pourra être mis à la disposition des chercheurs sur le site Internet des Archives de l’Assemblée nationale.
La division des Archives étant dépourvue de logiciel de gestion au moment où le projet de valorisation a été commencé, les Archives nationales ont fourni leur outil SOSIE, feuille de style Open Office permettant la structuration des instruments de recherche et leur conversion en XML-EAD, afin que le répertoire produit puisse être mis en ligne dans la salle virtuelle des inventaires.
Les documents contenus dans les cinquante cartons ont fait l’objet d’un important reconditionnement, exécuté par la division des Archives de l’Assemblée national, avec l’appui scientifique des Archives nationales, qui ont fourni tout le matériel nécessaire. Agrafes, trombones et autres attaches ont bien entendu été enlevés. Les classeurs en bois ont été remplacés par des pochettes neutres aux dimensions adaptées. Les boîtes cauchard ont été changées si nécessaire et des mousses installées dans les cartons pour caler les dossiers.
Les travaux d’analyse et de reconditionnement n’ont pas été facilités par la livraison en quatre lots des boîtes sélectionnées. Cette phase du projet a été plus longue que prévue, mais les relations excellentes entretenues avec les correspondants des Archives nationales ont grandement facilité les choses.
La préparation de la numérisation
Parallèlement au travail de description et de reconditionnement, la division des Archives de l’Assemblée nationale a préparé la numérisation des documents sélectionnés.
L’opération de numérisation s’est concentrée sur les procès-verbaux de séances de commissions parlementaires et sur les rapports présentés lors de ces réunions. Les travaux des commissions de l’Armée (1910-1919) et du Budget (1910-1914) ont été placés au cœur du projet. Ont aussi été sélectionnés les travaux des commissions des Crédits (1910-1914), des Comptes définitifs (1910-1914), de la Marine (1910-1919), du Ravitaillement et des réquisitions (1918-1919) et enfin les travaux de la commission chargée de l’examen du projet de loi autorisant le gouvernement jusqu’à la cessation des hostilités à prendre toutes les mesures commandées par les nécessités de la défense nationale (1916-1917).
Ces documents étaient répartis dans vingt-huit cartons. Ils ont été numérotés et un fichier de récolement détaillant la description intellectuelle et physique des dossiers à numériser a été réalisé. Un important travail de collecte d’informations a été nécessaire, afin de lister pour chaque pièce son type de documents (feuillets, registres), son format, son support, son état matériel, le type d’encre employé, la présence de pliures et retombes, ou encore d’insertion de feuilles agrafées, collées ou épinglées. Le choix a été fait de numériser en vues simples, ce qui représente environ 33 600 vues.
La rédaction et le suivi du marché
La démarche de rédaction d’un cahier des charges en vue de la réalisation d’une prestation de services de numérisation a été entamée par les archivistes fin février 2012, en collaboration avec la division des Marchés de l’Assemblée nationale. Un marché à procédure adaptée a été lancé en mai 2012, les offres étant remises au plus tard début du mois suivant. Ces délais extrêmement serrés ont été imposés en raison du planning du déménagement des Archives nationales vers le site de Pierrefitte-sur-Seine -les documents devant initialement être revenus définitivement aux Archives nationales fin septembre 2012-, mais également en raison de l’approche du début des commémorations - l’action de commémoration des Archives de l’Assemblée nationale commençant dès 2013-. Six offres ont été réceptionnées et un prestataire a été sélectionné lors de la réunion de Questure du 3 juillet 2012. Les travaux de numérisation ont débuté mi-juillet 2012 et sont aujourd’hui en cours d’achèvement.
La division des Archives a effectué elle-même les contrôles de cohérence et de qualité de l’intégralité des vues numériques, tant lors des phases de test qu’en fin de phase de production. Une formation au contrôle avait été dispensée au préalable par le personnel des Archives nationales.
Désormais, l’Assemblée nationale se concentre sur la valorisation des documents numérisés, qui seront mis en ligne sur Internet. Au-delà de cette mise à disposition des procès-verbaux des commissions de la Grande Guerre, d’autres fonds seront également mis à l’honneur.
3. Les autres projets de valorisation
La division des Archives de l’Assemblée nationale souhaite valoriser certains fonds d’archives publics et privés qu’elle conserve, mais également la documentation parlementaire de l’époque. La volonté est de mettre l’accent sur le fonctionnement de la Chambre des députés en temps de guerre, mais aussi d’évoquer la vie quotidienne, tant du point de vue des députés que de celui des employés de la Chambre.
Les fonds publics
Parmi les archives publiques conservées par la division des Archives, seront notamment valorisés des documents produits par le Secrétariat général de la Présidence et le Secrétariat général de la Questure pendant la Grande Guerre.
En 1914, l’administration de la Chambre des députés se divise en services législatifs et services administratifs. Le secrétaire général de la Présidence assure et surveille le fonctionnement de tous les services législatifs. Il est chargé entre autres tâches de la préparation du travail relatif à la Présidence et de la tenue des séances. Le secrétaire général de la Questure, quant à lui, assure et surveille le fonctionnement de tous les services administratifs. Il centralise les informations auprès des Questeurs, trois députés élus par leurs pairs en début de législature, afin notamment de faire adopter les décisions relatives au budget, au personnel et aux locaux.
Les archives historiques du Secrétariat général de la Présidence méritent d’être numérisées et valorisées, en particulier les dossiers relatifs aux réquisitions militaires, aux députés prisonniers, aux députés et fonctionnaires morts au champ d’honneur, au séjour de la Chambre à Bordeaux en 1914, ou encore aux comités secrets tenus entre 1916 et 1917.
Les archives du Secrétariat général de la Questure, permettent quant à elles de retracer le fonctionnement administratif de la Chambre des députés pendant la guerre, à travers des notes, des rapports et de la correspondance. Il faut citer notamment les notes « Gatulle », du nom d’un employé de l’époque, Georges Gatulle, qui a rédigé dans des notes thématiques un véritable historique du fonctionnement de l’administration de l’institution parlementaire depuis 1789. Certaines de ces notes sont de véritables mines d’or pour les chercheurs, et couvrent la période relative à la Première Guerre mondiale. Ainsi, deux notes très détaillées sont consacrées exclusivement aux dispositions prises pendant le conflit, dont une revient sur le repliement des services administratifs à Bordeaux entre septembre et décembre 1914. Une troisième note, illustrée de photographies et de dessins, détaille le transfert des cendres de Jean Jaurès au Panthéon en novembre 1924. Elle pourra être valorisée dès juillet 2014, au moment de la commémoration du centenaire de son assassinat.
Les fonds privés
Le témoignage fourni par les archives publiques de la Grande Guerre sera complété par la valorisation de fonds privés conservés par les Archives de l’Assemblée nationale.
Il faut citer en premier lieu les carnets de guerre de Maurice Bokanowski, qui ont très récemment fait l’objet d’un don à la division des Archives. Retraçant les souvenirs au quotidien d’un député-soldat, ces dix carnets de petits formats apportent le témoignage passionnant d’un député siégeant au Palais-Bourbon -qui est même présent à l’occasion des comités secrets de 1916- tout en prenant part aux combats sur le front d’orient. C’est ce qu’on appelle le contrôle parlementaire aux armées, mis en œuvre grâce à la réforme du règlement de la Chambre des députés de 1915.
Est également envisagée la valorisation de certains documents issus du fonds Georges Bonnefous, député de la Seine-et-Oise entre 1910 et 1936, dont une partie des papiers a été donnée à l’Assemblée entre 2005 et 2007. On trouve d’intéressants documents relatifs à la Première Guerre mondiale, notamment des notes manuscrites prises lors des séances de 1916 en comité secret. Une fois encore, le retour à l’usage des comités secrets trouve son fondement dans la réforme du règlement de 1915.
La documentation historique parlementaire
Parallèlement aux fonds d’archives, la division des Archives de l’Assemblée nationale souhaite mettre à disposition d’un large public la documentation parlementaire de l’époque, en la numérisant et en la mettant en ligne. Sont en cours de numérisation, sous le contrôle des fonctionnaires de la division : les règlements de la Chambre des députés pour la période 1910-1919, et avant tout le règlement de 1915 qui a institué la nouvelle procédure parlementaire évoquée précédemment ; les recueils des engagements électoraux des élections de 1914 et de 1919, aussi nommés Barodet du nom du parlementaire qui les a institués ; les Notices et portraits des députés de l’époque : il s’agit de recueils de portraits des élus, classés par département d’élection (1914-1919) ; les Feuilletons des années 1914 à 1919, qui regroupent les informations relatives aux travaux du jour ainsi qu’à la composition et aux activités des divers organes de la Chambre ; le Journal officiel des débats, qui publie les procès-verbaux des séances publiques, pour la période 1913-1919 ; les tables analytiques et nominatives des débats, système d’indexation des débats en séance publique et de l’activité des parlementaires, pour les législatures 1910-1914 et 1914-1919 ; et enfin le Recueil des lois entre 1913 et 1919, publication interne des débats de la Chambre des députés.
Les projets complémentaires
Enfin, le projet de commémoration de la Première Guerre mondiale implique de réactualiser les biographies des députés de la période, proposées sur le site Internet de l’Assemblée nationale et d’organiser la refonte de nombreux dossiers thématiques déjà réalisés au sujet de la Grande Guerre. Une nouvelle version papier des biographies, sera peut être également éditée. Un comité scientifique, composé notamment d’historiens spécialistes de la période, sera mis à contribution pour effectuer ce travail.
Les archivistes de l’Assemblée nationale, quant à eux, exploitent actuellement les résultats de l’enquête menée auprès de nombreux centres d’archives et institutions patrimoniales et visant à recenser l’ensemble des fonds privés de parlementaires. La localisation des fonds privés de députés sera prioritairement indiquée pour les élus en activité pendant la Première Guerre mondiale, dans une page spéciale du site Internet des Archives, accessible via leur fiche biographique.
Le périmètre du projet de célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale de la division des Archives de l’Assemblée nationale n’est donc pas figé de façon définitive, même si son cœur reste la numérisation des procès-verbaux des commissions de la Chambre des députés. Les pistes de valorisation qui ont été présentées seront enrichies au fur et à mesure des réflexions et des recherches. L’année 2013 sera marquée de façon certaine par l’accélération du projet, les premières commémorations se faisant autour des débats relatifs à la loi des trois ans, votée en juillet 1913 à la Chambre des députés, et visant à augmenter la durée du service militaire de deux à trois ans en vue de préparer l’armée française à une guerre éventuelle avec l’Allemagne. Des débats en commission se sont tenus dès février 1913. Jean Jaurès -et Aristide Briand dans une moindre mesure- y ont notamment pris part. La commémoration de cette loi symbolise donc, pour la division des Archives de l’Assemblée nationale, l’entrée dans la période de commémoration de la Grande Guerre.
Cécilia CARDON et Hélène SAUDRAIS
archivistes à la division Archives de l’Assemblée nationale