Préambule
Loin de constituer une thématique archivistique nouvelle, le sport fait partie, depuis longtemps, des domaines traités dans les expositions et les publications, et a pu faire l’objet de guides des sources ici ou là. Ainsi, au début des années 2000, le programme Mémos (Mémoire du sport), soutenu par l’Académie nationale olympique française et le Comité national olympique et sportif français, en partenariat avec la Direction des Archives de France, avait lancé un mouvement de collecte et de préservation de cette mémoire. À leur tour, les Archives nationales du monde du travail avaient accueilli deux colloques (2005 et 2008) et créé, en 2007, le « Pôle national des archives du monde sportif ». Le programme cependant n’a pas eu l’écho escompté, faute sans doute d’un relais suffisant auprès des différents services d’archives et des institutions sportives.
Or, nombreux sont les fonds d’archives relatifs au sport qui étaient encore mal connus ou relativement peu explorés : que l’on pense par exemple au fonds du ministère chargé des sports aux Archives nationales, aux séries T (enseignement, affaires culturelles et sport) ou W (regroupant les documents « Jeunesse et sport ») des Archives départementales et aux fonds des services des sports dans les Archives communales, aux fonds spécifiques des organisations sportives ou encore à ceux portant sur la presse sportive (au sein de la série 8AR des Archives nationales). De manière plus indirecte, nombreuses sont les mentions ou les traces laissées par les activités sportives ou par leurs promoteurs à travers les archives policières, judiciaires, fiscales ou d’état civil, et qui n’étaient pas nécessairement bien identifiées par les services d’archives.
La perspective des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) en 2024 s’est présentée comme une opportunité à saisir pour opérer un vaste mouvement de sensibilisation en direction des archives du monde du sport, par le lancement d’une opération de « Grande Collecte ». Les principes qui avaient bien fonctionné pour le centenaire de la Grande Guerre étaient en effet réunis : une collecte sur plusieurs années, sur un sujet consensuel, intéressant peu ou prou tous les Français, et soutenue par une communication nationale relayée localement. Cette opération, plébiscitée par le groupe d’historiens réunis dans le cadre de Paris 2024 autour d’Emmanuel Laurentin, homme de radio, signalaient en effet le manque de sources directes sur le sport dans les fonds publics et, de ce fait, les nombreux angles morts existant pour faire une histoire de cette pratique de masse ou de ce « fait social total ». Au moment où paraît cet appel à projet, 190 services ont participé à la Grande Collecte, 730 fonds ont été collectés par 67 services, soit 422ml de documents et 267Go de données, sur tous types de sport, du début du XIXe siècle à nos jours.
L’objectif de ce numéro n’est pas de faire le bilan de la Grande Collecte dans son ensemble – une telle mission incombe au Service interministériel des Archives de France – ni de reprendre ce qui a fait l’objet de publications récentes mais de venir en contrepoint sur certains aspects de la collecte et des rapports qui ont essayé de se nouer entre deux mondes qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer, celui des archives et celui du sport. La perspective retenue est alors à la fois d’analyser l’usage de cette collecte tant pour les archivistes que pour les historiens dans leurs pratiques professionnelles respectives, mais également d’offrir un cadre de réflexion plus large sur les pratiques archivistiques relatives au sport.
Les propositions de contribution s’inscriront dans les trois thématiques identifiées ci-dessous et pourront relever d’approches pluridisciplinaires et d’aires géographiques multiples.
• Quelles archives pour l’histoire du sport ?
Les JOP 2024 et la Grande Collecte qui y a été associée ont été l’occasion pour les services de revisiter les fonds qu’ils conservaient déjà pour en dégager les éléments relatifs au sport, que ces fonds traitent directement de cette pratique (fonds de clubs, de familles, de services des sports) ou non. Ainsi, sur ce dernier point, les fonds publics de toute nature (justice, police, éducation, cabinet des exécutifs, archives fiscales ou notariales, etc.) ont révélé contenir des informations qui avaient pu passer inaperçues et proposer ainsi un autre regard sur des personnalités de l’univers sportif comme sur la pratique elle-même. Aussi, ces recherches sont venues nourrir des actions de médiation, et dans certains cas des guides des sources, et ont également permis de nouvelles recherches. Cet axe entend revenir sur cet enrichissement archivistique tant du côté des archivistes que du côté des historiens : quelles plus-values ces nouvelles sources ont-elles apportées ? Cette (re)mise en lumière des fonds a-t-elle favorisé la meilleure connaissance de certains individus ou de certains pans de la pratique sportive ou a-t-elle contribué à l’émergence et à la formulation de nouvelles questions de recherche ? Comment les archivistes se sont-ils emparés de ce matériau pour mieux l’appréhender et le faire connaître ? Dans quelle mesure cet état des lieux a-t-il nourri la nouvelle collecte ? En résumé, quelles conséquences, tant pour les historiens que pour les archivistes, cette multiplicité des types de sources sportives impliquent-elles ? Proposant une mise en relation de ces « nouvelles » sources et de la connaissance de leurs conditions de production, cet axe entend contribuer à une meilleure compréhension des effets de l’actualisation de ces fonds archivistiques sur les pratiques des historiens comme des archivistes.
• Les archives du sport comme « impensé »
L’univers sportif s’apparente à un milieu où la mémoire est difficilement « pensée », sauf à être réduite à l’enregistrement des performances ou des records successifs. Dès lors, la collecte d’archives et de documents n’en est rendue que plus mal aisée. Dirigeants sportifs et acteurs du monde sportif n’entretiennent le plus souvent qu’un lien assez lointain avec les pratiques archivistiques les plus ordinaires et se font régulièrement une image peu précise de ce qui peut constituer un document d’archives. De manière plus générale, et en raison de la nature même du sport (qui suppose relativement peu d’écrits), une difficulté à se comprendre peut apparaître entre les pratiques des archivistes et celles du monde sportif. Cet axe, plutôt que de constater simplement, voire de regretter ces difficultés, entend essayer d’y réfléchir et de les analyser : comment les services ont-ils effectivement et pratiquement approché les donateurs ? Les actions de valorisation ont-elles permis de toucher un public différent, venant du monde du sport ? Des échanges plus durables ont-ils pu être mis en place entre les services d’archives et les institutions sportives ? Cet axe se donne aussi pour objectif d’interroger les zones d’ombre de cette collecte : comment collecter des archives dépassant la seule organisation de la pratique sportive (AG des clubs, bilans financiers, demandes de subvention, etc.) ? Quelles archives permettent-elles d’éclairer la pratique même ? Comment des pratiques moins médiatiques ont-elles pu être révélées à cette occasion ? Quelle place l’iconographie peut-elle occuper ?
• Les spécificités de la collecte de la mémoire sportive
Les spécificités de la collecte de la mémoire sportive résident dans la multiplicité des supports (papier, numérique, audiovisuel, voire objet) et typologies (photographies, témoignages) qui ont été collectés, parmi lesquels se comptent beaucoup de documents récents et de supports numériques. Des documents ont été prêtés également pour numérisation. Ces différents cas de figure posent des problèmes à la fois juridiques et méthodologiques. Une approche comparatiste avec d’autres opérations similaires peut sembler pertinente pour dégager les particularités de cette collecte entendue au sens large (collecte, traitement, valorisation) : la Grande Collecte du centenaire de 1914-1918, tout particulièrement, a-t-elle constitué un précédent utile pour les archivistes ? En quoi la Grande Collecte des archives du sport était-elle différente et comment cela s’est-il traduit dans sa mise en œuvre ? Quels « outils » ont-ils été mis en place pour répondre aux enjeux de cette collecte ?
D’une manière générale, les contributions attendues peuvent être de différentes natures :
• Article original (5 000 à 10 000 mots hors annexes et notes de bas de page) : publication originale présentant un propos argumenté, démontré et étayé par une analyse de la littérature et des sources (archives, enquête...), susceptible de faire avancer la recherche ou la réflexion sur les archives.
• Pistes et perspectives (5 000 à 10 000 mots hors annexes et notes de bas de page) : article qui peut adopter un ton plus spéculatif et exprimer une réflexion novatrice sur la théorie ou la pratique archivistique. Ici, le texte pourra notamment discuter et questionner les effets de l’usage d’un document spécifique sur l’objet sportif. Il est recommandé de prendre contact avec le comité de rédaction au préalable.
• Entretien (longueur des entretiens à convenir avec le comité de rédaction) : entretien inédit avec une personnalité, présentant un apport pour la théorie ou la pratique archivistique.
• Étude de cas (4 000 à 7 000 mots hors annexes et notes de bas de page) : retour d’expérience analytique sur un projet ou une activité qui présente un caractère original et apporte une réflexion sur la pratique archivistique.
• Compte rendu (1000 à 2 000 mots hors notes de bas de page) : compte rendu problématisé d’un ouvrage ou d’un événement scientifique qui présente des réflexions archivistiques.
Bibliographie
« Architecture et patrimoine du sport », revue Monumental, Éditions du Patrimoine, 2023-2.
BELTRAMO Noémie, BREHON Jean, CHOVAUX Olivier, et DA ROCHA CARNEIRO François (dir.), Vingt ans après... Écrire l’histoire du sport, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2024.
BOSMAN Françoise, CLASTRES Patrick et DIETSCHY Paul, (dir.), Le Sport, de l’archive à l’histoire. Actes des journées d’études organisées les 8 et 9 juin 2005 à Paris et à Roubaix par le Centre d’histoire de Sciences Po et le Centre des archives du monde du travail de Roubaix, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006.
DELORME Franck et LEMAÎTRE Pascal, Les sports en France de l’Antiquité à nos jours : une histoire, un patrimoine, Éditions du Patrimoine, 2023.
GUIGUENO Brigitte et HAYETTE Juliette, « La Grande Collecte des archives du sport : essai transformé ! », dans revue Patrimoines, « L’héritage du sport », n° 19, 2024, p. 23-28.
Olympisme, une histoire du monde. Des premiers Jeux olympiques d’Athènes 1896 aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, Catalogue d’exposition au Palais de la Porte dorée, Éditions de La Martinière, 2024.
TERRAL Philippe et FEREZ Syvlain (dir.), Le Sport, un objet social, Paris, Athéna, 2023.
TERRET Thierry et FROISSART Tony, (dir.), Le sport, l’histoire et l’historien, Reims, Éditions des Presses universitaires de Reims, 2013.
VIVIER Christian, LOUDCHER Jean-François et VIELLE-MARCHISET Gilles, « Histoire de l’Histoire du sport et de l’Éducation physique en France », in Sport History Review, n° 46, 2015, pp. 18-42.
Webographie
Dossier « Archives et sports » sur FranceArchives
(https://francearchives.gouv.fr/fr/section/707563817)
Page sur la Grande Collecte des archives du sport des Archives départementales du Calvados avec un premier bilan (https://archives.calvados.fr/page/archives-sportives-en-route-pour-2024-)
Publications des services d’archives sur le thème du sport (https://francearchives.gouv.fr/fr/section/28204596?vid=primary&ancestors=28204596&fulltext_facet=sport*)