Tout d’abord, le document laisse une impression de confusion entre les missions des différents acteurs : parle-t-on uniquement de celles que l’État a confiées au ministère de la Culture, chargé à la fois du pilotage d’une politique nationale sur tous les volets (conservation, collecte, classement, communication), de l’organisation du contrôle scientifique et technique, et de la conservation aux Archives nationales des archives des administrations centrales, ou bien – aussi – de celles des collectivités, chargées de la conservation de leurs archives propres et, pour certaines d’entre elles (archives départementales), de celles de l’État déconcentré ? Par ailleurs, sur quels chiffres se fonde-t-on ?
Première voie d’économie évoquée, « Limiter la collecte aux archives essentielles ».
Dans l’air du temps, proposée aux acteurs du paysage archivistique français par le rapport remis à la ministre par Christine Nougaret « Une stratégie nationale pour la collecte et l’accès aux archives publiques à l’ère du numérique », cette notion ne saurait se réduire à une simple équation comptable qui aurait pour unique vertu de réduire le flux des versements de 10 à 20 % et de réévaluer avec cette seule boussole les fonds déjà collectés. L’évaluation des documents et la sélection raisonnée pour assurer les droits des personnes et la documentation historique de la recherche est bien au cœur de la pratique professionnelle des archivistes, et ce depuis les origines. L’adaptation de la notion d’« archives essentielles », familière au monde anglo-saxon, à la pratique archivistique française nécessite une réflexion approfondie, associant notamment archivistes et gestionnaires de documents, afin d’aboutir à un consensus appelé de ses vœux par la rapporteuse elle-même : elle ne saurait en aucun cas se réduire à un coup de baguette magique comptable…
Les propositions du rapport « Une stratégie nationale pour la collecte et l’accès aux archives publiques à l’ère numérique » méritent d’être lues, relues, discutées, débattues, …
Dans cette optique et sans attendre l’utilisation par trop simpliste de cette proposition, l’Association des archivistes français, qui a contribué à ce rapport, s’est proposée d’approfondir la réflexion dans le cadre de ses "Questions aux archivistes". Chaque adhérent, chaque instance de l’AAF est appelé depuis la rentrée à se prononcer sur ce thème et à illustrer ce concept afin de construire une synthèse collective.
Seconde piste d’économie projetée : « Rationaliser la répartition des missions entre régions et départements ».
Si le paysage institutionnel local a effectivement connu ces dernières années de profondes mutations, qui sont loin d’être achevées (montée en puissance de l’intercommunalité, fusions de collectivités réalisées – régions – ou en projet – départements –, réorganisation en miroir des administrations de l’État, expérimentations rendues possibles), il est essentiel que ces mouvements soient scrupuleusement et étroitement accompagnés du point de vue de la gestion des documents, afin d’assurer la sécurité juridique des personnes et leur capacité à agir. Là encore, rien ne pourra se faire de façon pleinement satisfaisante pour le bien public sans des archivistes, suffisamment nombreux, suffisamment formés et suffisamment soutenus : il n’est pas sûr que la mutualisation à tout crin, si elle est inévitable étant donné le contexte, doive se traduire par de drastiques économies sur les moyens dédiés et, surtout, un désengagement de l’État…
Là encore, l’Association se mobilise, avec les « Questions aux archivistes » proposées à ses membres : « Dessine-moi un service d’archives » et « Quel positionnement pour l’archiviste ? »…
Enfin, le développement de l’e-administration et la numérisation de vastes ensembles documentaires, vus comme une nécessité pour l’amélioration du service au citoyen mais aussi comme une solution économe des deniers publics, ne saurait se passer d’une réflexion de fond et d’une prise en compte des différents coûts induits : d’où tient-on que le coût de la conservation de 100 km d’archives papier numérisées serait amorti sur 5 ans ? S’agit-il uniquement d’archives vouées à terme à la destruction ? La conservation définitive d’archives numérisées, si on inclut les coûts de maintenance des systèmes, de stockage et de migrations qu’elle implique pour une durée par essence sans limite, pèsera sur les finances publiques pour une durée bien plus longue…
Là encore, une réflexion plus large que de simples considérations comptables doit être privilégiée, en faisant des archivistes, spécialistes de ces questions, des acteurs essentiels.
L’Association des archivistes français, forte de membres travaillant tant dans le cadre des ministères que dans celui des collectivités, s’élève donc contre une politique nationale pour les archives qui ne serait dictée que par des considérations comptables qui laissent entrevoir un désengagement de l’État ; bien consciente du contexte et des contraintes actuelles, elle appelle à une réelle réflexion sur les sujets évoqués, qui ne pourra faire l’économie d’une implication forte des archivistes, de leurs compétences et de leurs propositions, pour que ne soit pas menacée la sécurité juridique du citoyen, ni bradée la constitution d’un patrimoine collectif.